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forces pour jouer sa dernière partie. L’opération du 5 juin avait surtout pour résultat d’assurer les derrières pendant la marche à travers le territoire des Béni Mtirs, que le général en chef voulait traverser dans toute sa longueur, pour s’y mesurer d’une manière décisive avec les plus farouches et les plus valeureux partisans de Moulay-Zin.

Le lendemain, de grand matin, on se met en route. Les ravins succèdent aux ravins ; les séguias en remblai sont pour les animaux de bât, et surtout pour les attelages des batteries de 75, des obstacles presque infranchissables. Tous les autres véhicules sont restés à Fez, et les ambulances, les trains régimentaires et les convois sont portés par des mulets et des chameaux. Les morts de la veille ont été inhumés secrètement pour préserver leurs tombes des outrages. Les blessés, dont plusieurs auraient grand besoin d’un repos immédiat, sont groupés par deux sur les cacolets et compriment avec peine leurs gémissemens douloureux. Par instans, ils tournent leurs regards vers Fez dont on aperçoit au loin les buées bleuâtres, comme vers le port ardemment désiré après une traversée orageuse ; de cahots en cahots, de chutes en chutes, sous le soleil qui darde, harcelés par les mouches qu’attire l’odeur du sang desséché, ils vont, assommés par la souffrance ou soutenus par les piqûres de morphine que les médecins compatissans leur donnent à tous les arrêts. Et la compassion générale qui les accompagne va aussi vers les pauvres bêtes qui les transportent, buttant et chancelant à chaque pas : deux hommes et les cacolets où ils sont couchés représentent un poids minimum de 180 kilogrammes, bien lourd pour des mulets algériens, plus petits que leurs congénères français, et déjà épuisés par les fatigues d’une campagne pénible où les soins leur ont fait défaut.

Pendant la marche, des Béni Mtirs dissidens ont observé les troupes, sans tenter une attaque dont ils semblaient comprendre l’inutilité. D’ailleurs, quelques coups de canon dirigés sur des groupes lointains ont empêché la formation de rassemblemens hostiles, et, vers midi, les colonnes font halte auprès de Rab-el-Ma qui, par ses jardins ombragés d’énormes figuiers, ses sources d’eau limpide, sa kasbah et les petits villages qu’elle semble protéger, paraît une oasis dans le désert rocailleux parsemé de champs maigres qu’on vient de traverser.

Cette halte est exceptionnelle dans une expédition où les