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étapes s’exécutent sans arrêt, depuis l’aube jusqu’à la fin du jour. Aussi, les blessés qu’on panse sous les arbres ont-ils un instant de folle espérance. Peut-être va-t-on les envoyer à Fez, à peine éloigné d’une douzaine de kilomètres, plutôt que de les conserver comme d’encombrans impedimenta dans une colonne exposée chaque jour à combattre, et dont les moyens de transport sanitaires sont restreints. Leur désir paraît d’ailleurs aisément réalisable. Dans la plaine découverte qui s’étend jusqu’à la capitale, nulle surprise n’est possible ; les rares douars sont peuplés de gens pacifiques, et les rebelles sont partis vers l’Ouest. En trois heures, une escorte de cavalerie conduirait sans danger nos quinze blessés à Fez ; elle serait, le soir même, de retour au bivouac. Les ignorans, les médecins raisonnent ainsi ; mais il doit y avoir de sérieuses raisons pour que cette solution simple ne soit pas adoptée. La nécessité d’arriver sans retard à Meknès impose sans doute au commandement une détermination différente. Le passage d’un oued qui roule à vingt mètres au-dessous de la plaine ses eaux claires et fraîches dans un sillon rocheux dont, à moins de cent mètres, on ne soupçonne pas l’existence, est enfin rendu praticable. Après une heure de repos, le convoi, les ambulances et l’arrière-garde franchissent cet obstacle, et se reforment lentement, tandis que le reste des troupes est déjà parti en avant pour s’établir au bivouac du soir.

Sur le plateau rocheux et accidenté d’Aïn Blouss qui domine la coupure de l’oued Nja, le camp forme un vaste demi-cercle ponctué de fumées claires et de feux joyeux. Quelques mercantis indigènes, pressés d’arriver à Meknès et ne voulant pas s’exposer aux dangers de la route, ont trouvé avantageux d’accompagner nos troupes qu’ils exploitent impunément. Dans leurs marabouts crasseux, lugubrement éclairés par des bougies fumeuses, les acheteurs se pressent devant les sommaires étalages de sucre, de pain d’orge, de savon noir et de beignets rancis. A l’extrémité de sa ligne, vers le campement de la mehallah, quand vient le soir, des lumières nombreuses s’allument et donnent un air de fête aux tentes confortables que domine le drapeau chérifien orné d’une queue de cheval. Le lieutenant français, qui commande ce détachement de l’armée marocaine, est fier d’avoir les trois armes sous ses ordres ; et, vraiment, les animaux sont bien tenus, les canons Canet