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montrent leur bouche brillante et les fantassins ont fort bon air. Au centre, dans un vallon descendant vers l’oued Nja, les correspondans de journaux ont dressé leurs installations, qui paraissent somptueuses aux officiers coloniaux, dont la petite cantine et le tiers de tente individuels inspirent les condoléances narquoises des Algériens plus favorisés.

L’étape du 7 juillet est pénible et variée. L’axe de marche suivi par les colonnes va rejoindre par monts et par vaux, au gué de l’oued Madhouma, la grande route de Fez à Meknès. Avant-garde et flancs-gardes échangent des coups de fusil avec les Béni Mtirs, qui se montrent de plus en plus nombreux, mais qui ne semblent pas encore décidés à risquer dans un engagement décisif les dernières chances de l’insurrection. A l’arrière-garde, sur leurs cacolets branlans, les blessés de Bahlil gémissent toujours ; vers sept heures du matin, deux d’entre eux passent doucement de vie à trépas, et les témoins de leur terrible voyage en éprouvent une satisfaction apitoyée.

Vers midi, comme la veille, le passage d’une rivière impose un arrêt inattendu. L’oued Madhouma coule dans une gorge étroite ; la piste qui dégringole sur les flancs rocheux le traverse à l’origine même d’une chute de quinze mètres, et la moindre erreur de direction jetterait les attelages dans le gouffre béant. Tandis que les chameaux, les animaux de bât passent doucement, les soldats se rangent sur les hauteurs en spectateurs intéressés, et les officiers d’artillerie cherchent les moyens d’amener sans encombre sur l’autre berge leur pesant matériel. Il faut descendre, sur une dénivellation de dix mètres, une pente en corniche de 40 degrés, tourner très court, franchir en droite ligne la rivière en longeant l’arête de la cascade, et grimper sur la rive opposée en côtoyant le précipice. Par leur longueur et leur poids, les attelages ne semblent pas assez maniables pour exécuter, sans aménagemens compliqués et lents, un pareil tour de force. Les fantassins sont anxieux comme à l’approche d’un catastrophe ; mais, après un rapide examen, les bigors sont conhans.

Le premier canon est mis en marche. Dix hommes, halant sur une corde solide, retiennent avec peine sa masse sur la pente ; les bons chevaux de France, altérés, veulent boire dans la rivière, mais il ne faut pas arrêter l’élan de la pièce, car le moindre écart serait fatal. Excité par la voix, le fouet et l’éperon,