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l’attelage vire sur place, s’engage sur la berge opposée, la grimpe au galop dans un tourbillon de poussière, un grand bruit de ferrailles, tandis que l’avant-train, le canon, cahotés, semblent rouler sur leurs moyeux, et qu’une roue, par instans tourne dans le vide. Enfin, les chevaux essoufflés, yeux saillans et naseaux dilatés, sont arrêtés sur le plateau ; conducteurs et servans se félicitent de leur dextérité et ne songent plus qu’à voir si leurs camarades auront autant d’adresse et de bonheur. Et les profanes les plus ignorans, qui admirent ce spectacle, sont confondus par les extraordinaires qualités de la troupe et du matériel : l’intelligence, l’entrain de l’une appliqués à la précision, la rusticité, la stabilité de l’autre, donnent vraiment à l’armée française un incomparable outil de combat. En deux heures, les trois batteries ont passé. Sur le plateau argileux, où les pluies ont creusé entre les palmiers nains des rigoles profondes, les troupes ont repris leur marche qu’alourdit un soleil éclatant.

Sur un beau pont en pierre d’une seule arche, l’oued Zedida est franchi. Une plaine fertile porte jusqu’à l’horizon les vastes pâturages, les riches moissons du caïd bou Dmani, dont la kasbah orgueilleuse domine quelques maisons misérables, de superbes bosquets de figuiers séculaires, qui bordent un vallon où chantent des sources fraîches. C’est autour de la résidence du chef rebelle que le bivouac s’établit. Dans les logis abandonnés, les soldats s’éparpillent à la recherche de combustible. Et l’on voit revenir fantassins, cavaliers, artilleurs, chargés fièrement de bois œuvres qu’ils montrent comme des trophées : un homme du tabor apporte en travers de la selle une poutre de noria ; deux tirailleurs algériens charrient un large lit ; sur un caisson retardataire, des canonniers ont chargé des portes et des volets ; un marsouin plie sous le poids d’une charrue. Bientôt les feux des cuisines rougeoient dans la nuit tombante, tandis que des postes de surveillance sont placés au milieu des petits bois qui entourent le campement.

Cette fois, les fidèles observateurs du règlement sont satisfaits : postes et sentinelles sont établis assez loin pour enlever aux Beni Mtirs, dont on attend la visite nocturne, des abris avantageux. D’après les agens de renseignemens, une attaque est, en effet, probable : le chef rebelle a promis de revenir en nombre dans la forteresse qu’il abandonna. Et pour montrer clairement que les troupes françaises méprisent ses menaces,