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le général ordonne de laisser dans la kasbah le souvenir impressionnant de notre passage. Un fourneau de mine, chargé de 25 kilogrammes de mélinite, fait bientôt sauter la porte principale, et la détonation répand au loin la preuve de notre force et la justice du châtiment. Sa bénignité suffit cependant pour rendre inviolable le sommeil des bivouacs. Le lendemain, de grand matin, les jambes reposées et l’estomac satisfait, nos troupes se mettent en route allègrement, sans inquiétude sur le sort de la partie décisive qu’on allait enfin jouer dans la journée, avant d’arriver à Meknès.

Le Sultan a dû éprouver le même sentiment. Sur le chemin où nos colonnes se reforment, le vieux El Omrani, grand maître des méhallahs chérifiennes, entouré d’un millier de cavaliers, attend le général. Il venait, envoyé la veille par son souverain, pour assister à l’écrasement des rebelles et à l’humiliation de Moulay-Zin. Et l’on admirait ce grand seigneur, à la barbe blanche comme la neige de son burnous et de son turban, qui courait encore les routes pour la gloire de Moulay-Hafid. Ses cavaliers, dont les fines montures et la masse compacte inspiraient à nos soldats des commentaires flatteurs, semblaient prêts aux charges héroïques comme aux plus vertigineuses fantasias. Ils accomplirent peut-être des prodiges de valeur pendant la bataille, mais nul barde n’en fut témoin pour les raconter.

Dans la campagne déserte, la petite armée continue sa route sans obstacle. Vers l’Est, les minarets de Meknès apparaissent par-dessus les masses bleuâtres d’arbres lointains. On touche enfin au but, et l’on se demande si les rebelles ne vont pas s’avouer vaincus sans combattre. Ils ont manqué au rendez-vous qu’ils avaient donné la nuit dernière, et la conviction de leur infériorité les pousse peut-être à ne pas affronter une lutte inégale. Mais, à l’avant-garde, on sait déjà que la poudre va parler.

Nos spahis, les guerriers d’El Omrani, nos goumiers à cheval qui étendaient au-devant de nos colonnes un rideau protecteur, font demi-tour et reviennent à vive allure, poursuivis de près par de nombreux cavaliers. Les Béni M tirs ont été démasqués et chargent à fond de train nos éclaireurs, inférieurs en nombre, qui manœuvrent de façon à les attirer dans un piège. Tandis que le gros de nos troupes s’arrête, hypnotisé par le spectacle de cette course furibonde, une compagnie d’infanterie, dissimulée dans les orges, se déploie et, dans le champ de tir