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pour rien les dernières caisses du stock de cartouches dont ils avaient ravitaillé l’insurrection, avec des bénéfices exagérés. Les fanfarons, les fier-à-bras, qui trouvent dans leur intransigeance une facile popularité, les encouragent, et, dans le tohu-bohu de ces conférences tumultueuses, le prétendant qui craint pour sa vie regrette amèrement son aventure. Le rassemblement des irréductibles va se faire en dehors de l’Aguedal ; la population tranquille s’empressera de fermer les portes derrière eux. Le Maghzen insurrectionnel esquissera un semblant de lutte contre nous et se hâtera d’implorer l’ « aman » après avoir sauvé l’honneur.

Le général en chef, amusé, satisfait aussi d’obtenir presque sans coup férir la reddition de la capitale rebelle, accepte ce programme dont l’exécution va commencer aussitôt. Nos soldats ont consommé leur repas froid ; bien reposés, ils pourront donner sans fatigue le dernier effort. Justement, les vedettes signalent, vers l’Ouest, une grosse masse de cavaliers qui s’agitent. Les canons de 65 font entendre leur voix stridente, et les obus sèment la confusion chez les derniers Béni Mtirs, qui disparaissent à l’horizon. Les troupes se mettent alors en marche dans une formation qui serait bien dangereuse en Europe, mais qui est bien choisie pour laisser aux Marocains une impression durable. Et, des murailles de la ville, les curieux qui se montrent en grappes derrière les créneaux peuvent admirer notre cavalerie bariolée, prête à repousser en fourrageurs une charge improbable de l’ennemi ; les bataillons en colonnes doubles, correctement alignés, encadrent notre artillerie attelée qui défile au pas solennel de ses attelages ; les ambulances suivent, montrant nos blessés toujours plaintifs sur leurs cacolets, comme un hommage rendu à la valeur de nos adversaires. Le convoi de chameaux innombrables développe la théorie de ses pelotons serrés ; l’arrière-garde ferme la marche, et l’ensemble représente la force irrésistible, la puissance illimitée.

Soudain, ce défilé qui, à Longchamp, aurait excité un enthousiasme délirant, est arrêté par une sonnerie de clairons. Les troupes mettent pied à terre ou forment les faisceaux ; le dernier rite va s’accomplir. Conformément au programme, le général en chef est arrivé devant la porte close de l’Aguedal, dont la serrure énorme et les assemblages compliqués défient