Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 5.djvu/393

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

son équipée ne lui laisse guère que le souvenir d’un cauchemar heureusement terminé. Et la protection de la France s’affirme déjà dans la garde d’honneur qui veillera sur lui, et éloignera ses amis trop importuns ou trop compromettans, pendant le court séjour de nos colonnes sous les remparts de Meknès.

Dans la ville, dont les ouvrages spéciaux ont tracé d’enthousiastes descriptions, d’ailleurs justifiées, la population s’est promptement résignée. Les habitans accourent, pour flâner au milieu des bivouacs, pour vendre des fruits, des œufs, du lait, dont les « caporaux d’ordinaire » font d’abondantes provisions. Autour du camp, rien ne vient troubler la quiétude sereine des campagnes désertes. Au tumulte guerrier de naguère succède une paix absolue : chevaux et mulets vont à l’abreuvoir sans escorte, et les dernières vedettes ont depuis longtemps rejoint leurs escadrons. Seules, quelques sentinelles se promènent sur le terre-plein du mur qui entoure l’ancien Champ-de-Mars des mehallahs, et guettent sans anxiété un retour improbable de l’ennemi.

A Meknès, comme à Fez, les Juifs avaient la reconnaissance exubérante. Quand le général Dalbiez, et les officiers qui l’accompagnaient en touristes, franchirent la porte du Mellah, ils furent accueillis comme des libérateurs. Les filles de Sion ne devaient pas acclamer Judas Macchabée vainqueur avec plus d’enthousiasme que le grand rabbin, les anciens du peuple, les familles de boutiquiers et de prêteurs, dont les émotions étaient trop désagréables pour être déjà oubliées. Le moindre retard dans notre marche aurait eu des conséquences désastreuses pour les personnes et les biens de leur nombreuse communauté. Mais ils se ressaisirent pendant le repos et les méditations du Sabbat et, dès le surlendemain de notre arrivée, ils spéculaient sur nos besoins avec la plus naïve ingratitude. Leur joie fut sans bornes quand ils apprirent que Meknès allait être gardé par un fort détachement de nos troupes, source intarissable de fructueux trafics.

Pour faciliter le rétablissement de l’autorité du Sultan dans la capitale à peine soumise des rebelles, et pour amorcer une ligne d’étapes plus directe vers Rabat, le général en chef avait décidé en effet de laisser dans l’Aguedal une forte garnison. Le choix de son emplacement, la solution diplomatique des difficultés de l’installation exigèrent deux grandes journées de conférences. Mais, dès le premier soir, on avait retenu au milieu des