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jardins fruitiers qui font à Meknès une verte ceinture célèbre dans tout le Maroc, vont reposer les yeux fatigués par la réverbération du soleil sur la route blanche ; puis le paysage reprend son aspect habituel d’espaces infinis sur un plateau faiblement ondulé. Vers le Nord, les montagnes dressent leur barrière bleuâtre, piquée de petits villages blancs dans les forêts sombres. Partout, des douars, des chevaux, des moissonneurs. Ceux-ci, trois jours auparavant, faisaient le coup de feu contre nous ; ils accourent maintenant sur les bords de la route, adressent à tous, officiers et soldats, des saluts familiers, et semblent réserver l’indifférence ou le mépris de leur attitude au malheureux Moulay-Zin, dont ils attendent le passage avec impatience.

Il paraît enfin. Sur un gros cheval à l’allure sculpturale et qui semble descendre d’un piédestal du temps de Louis XIV, une vaste selle d’un rose vif éclate au soleil et sert de support au prétendant vaincu. Il va droit et digne, libre en apparence et précédant un lot d’anciens ministres et de serviteurs déférens. Le général en chef le dépasse, échange par l’intermédiaire d’un officier interprète quelques complimens brefs et courtois, et disparaît dans la poussière opaque du convoi. Le colonel Gouraud, que signale un fanion rouge ondulant sur les moissons, le suit de loin, énigmatique et froid.

Vers une heure de l’après-midi, la chaleur intense a depuis longtemps fait taire les chansons, cesser les lazzis qui égayaient les premières « pauses » de la marche. Le sac, quoique allégé de la couverture, paraît lourd aux épaules qui s’affaissent ; les bidons sont depuis longtemps vidés. Comme toujours, on ignore la longueur de l’étape, le moment probable de l’arrivée. Mais, soudain, au tournant d’un contrefort qui s’avance sur le plateau brûlant, le paysage change et des cris de joie retentissent. Au fond d’une vallée verdoyante où des éclairs liquides scintillent entre les herbes, les groupes Dalbiez et Brulard ont déjà dressé leurs tentes. Les forêts d’oliviers grimpent jusqu’au faîte des montagnes qui abritent le gros village et la « zaouïa » de Moulay-Idris, le fameux sanctuaire marocain. En face, des colonnes dressent leurs minces silhouettes brunes, des blocs amoncelés marquent l’emplacement de Volubilis, l’antique cité romaine que les Français, héritiers intellectuels des anciens conquérans, réveilleront bientôt peut-être de son séculaire sommeil.