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Nos troupes vont rester sur leurs emplacemens pendant toute l’après-midi, et la journée du lendemain. Le général en chef doit recevoir la soumission des chefs Guerouans qui avaient pactisé avec les Beni Mtirs, et surtout des « cheurfas » de la célèbre « zaouïa » dont l’influence religieuse est souveraine au Maroc. Seuls, les représentans de la presse, les lumières du service des renseignemens et des affaires indigènes, les premiers sujets des états-majors ont été conviés à cette cérémonie originale qui, d’après les correspondances publiées dans les journaux, ne manqua pas de pittoresque et de grandeur. Quelques semaines après, officiers et soldats apprenaient ainsi l’importance politique d’une solennité dont nulle indiscrétion n’avait révélé le programme théâtral. Ils ne songèrent pas à s’en étonner. Depuis le début de la campagne, ils étaient accoutumés à payer de leurs personnes sans connaître le but et la longueur des marches, la durée des stationnemens, la nature et le prix des résultats. Ils assistaient au drame marocain comme des machinistes qui n’ont jamais vu la pièce dont ils actionnent les décors. Ils sentaient que la volonté directrice était bien au-dessus, bien loin d’eux, si haut et si loin qu’elle ne discernait pas les individualités dans la poussière humaine où tous, du colonel au simple soldat, semblaient des atomes confus. Ils n’avaient d’enthousiasme qu’aux jouis de bataille, où bouillonnait le vieux sang guerrier de la race, et, ne cherchant plus à comprendre, ils jouaient avec sérénité leur rôle fatigant dans les scénarios les plus compliqués.

Ils acceptaient leur stationnement à Moulay-Idris comme une délicate récompense de leurs efforts antérieurs. Pour la première fois, ils avaient, toute proche, l’eau en abondance, le combustible en quantité suffisante ; ils pouvaient dormir sur un sol sans cailloux, et le vent n’assaisonnait pas de sable les chefs-d’œuvre de leurs cuisiniers. Les calmes se livraient aux agrémens de la pêche, les agités erraient dans les ruines de Volubilis, les contemplatifs laissaient reposer leurs regards sur le décor des montagnes boisées où les vétérans de l’Indochine croyaient revoir un paysage du Haut-Tonkin. Mais ils s’apprêtèrent sans regret à quitter ce bivouac de délices pour reprendre leur route vers Nzalet-beni-Amar, où la rumeur mystérieuse des camps annonçait la rencontre probable avec le courrier de France, impatiemment attendu depuis un mois.