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médicamens ; quand les ambulances et les hôpitaux de campagne sont privés de personnel, de matériel et de moyens de transport ; quand les distributions de vivres font place aux fantaisies aliment aires les plus variées, il importe peu que les morts soient enterrés sans cercueils et sans prières, que les chevaux périssent faute de soins, que les caisses de fonds manquent chez les payeurs et les sacs de lettres chez les postiers. Dans les détachemens les plus reculés des colonies les plus lointaines, méharis, pirogues, chaloupes ou coolies-trams apportent régulièrement les courriers de la métropole, avec plus de célérité qu’aux troupes du Maroc : « Mais, monsieur, nous ne sommes pas ici dans une colonie, nous sommes en opérations ! — Soit ; mais vous n’en êtes pas moins incapables d’assurer, dans une petite division de 6 000 hommes, un service prévu par les Règlemens, sur un itinéraire connu d’avance, à cent kilomètres de votre base d’opérations, par une ligne de communication jalonnée de postes munis de grosses garnisons et de la télégraphie sans fil ! »

Enfin, les sous-officiers de jour arrivent radieux et lourdement chargés. Les doigts fiévreux déchirent les enveloppes, font sauter les bandes, coupent les ficelles des paquets, et, sur tous les bivouacs, passe un bruissement léger de papiers dépliés. Lettres et journaux datent de six semaines ; ils sont plus vieux que s’ils venaient de Chine ou d’Australie ; mais chacun parcourt avidement les joies, les deuils, les phrases banales, les sermens d’amour, les mensonges d’affaires qu’apportent les feuillets si impatiemment attendus ; il s’émeut au récit des événemens sensationnels qui firent palpiter la France et qui y sont déjà oubliés. L’esprit et le cœur apaisés, il serre dans le sac ou dans la cantine la petite provision intellectuelle et morale où, chaque soir, jusqu’à la prochaine arrivée du courrier, il puisera un peu de réconfort et d’oubli.

Après cette débauche de lecture inattendue, le retour à Fez n’est plus qu’un jeu. On suit d’un pas élastique la route bien connue qui traverse le champ de bataille du 25 mai. Les soldats s’interpellent bruyamment ; ils évoquent, avec des exclamations pittoresques, les moindres incidens du combat : « Ici, mon casque fut traversé par une balle ; — Voilà où mon voisin fut tué sans avoir le temps de souffler ; — Derrière ce talus, j’ai descendu le gros Marocain qui gesticulait. » Et tous rient aux éclats, joyeux de vivre et de pouvoir raconter de tels