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souvenirs. Les officiers, eux, discutent plus gravement les phases de l’affaire et les manœuvres de leurs chefs. Le terrain dont ils n’avaient vu que le petit coin où s’employait leur activité, se montre dans son ensemble comme un immense plan relief. Des ordres incompris s’expliquent d’eux-mêmes aujourd’hui ; tel qui s’imaginait avoir joué un rôle prépondérant et méconnu, se voit justement relégué au rang de simple figurant. La journée tout entière, où l’habile utilisation du sol par le chef de l’avant-garde et le commandant de la colonne fut le principal élément du succès, revit avec ses moindres détails dans la mémoire des acteurs qui se transforment en critiques désintéressés.

Dès leur arrivée à Fez, les troupes reviennent occuper, sur le plateau de Dar-Dbibagh, leurs primitifs emplacemens de bivouacs. Elles y retrouvent les désagrémens que leur promenade circulaire, déjà dénommée par un facétieux « le circuit des capitales, » leur avait presque fait oublier : le crottin des milliers d’animaux, les mouches innombrables, l’eau douteuse, la poussière, le pain d’orge et les cailloux. Mais le Sultan est satisfait. Il s’est réjoui aux nouvelles de nos victoires ; il a fait un accueil dénué d’aménité à son frère repentant. Et maintenant il veut, suivant l’adage connu, récompenser nos troupes dans la personne de leurs chefs qu’il fait inviter, en signe d’estime et d’amitié, à partager avec lui le pain et le sel dans son château de Bou-Jeloud.

Du fond de sa cantine, chacun sort le complet kaki réservé pour les grandes circonstances ; les Algériens, dont le vestiaire est le mieux garni, arborent leurs tuniques du bleu le plus tendre, leurs bottes les plus vernies. A pied, à cheval, sur des arrabas trépidantes, confondant leurs grades en groupes bigarrés, les officiers s’acheminent vers la Bab-Segma, où le général en chef leur a donné rendez-vous. Des visions éblouissantes de harem ouvert troublent les cervelles des jeunes ; les utilitaires escomptent une ample distribution de décorations hafidiennes ; les désabusés eux-mêmes, les revenans de Tananarive ou de Pékin, qui ont vu les princesses malgaches ou les merveilles du Palais d’Été, songent sans déplaisir au spectacle inédit qui les attend. Tous rêvent d’essence de rose tombant en pluie fine sur leurs fronts brùlans, de confitures exquises, de pâtisseries inconnues, d’aimées gracieuses mimant pour eux