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leurs danses les plus suggestives... Et, considérant leurs chaussures fatiguées, la teinte jaunie de leurs manchettes, leurs culottes défraîchies, ils éprouvent un vague sentiment de honte, qui se précise par le contraste de leur inélégance avec la tenue impeccable des officiers d’état-major.

Pressés en pelotons serrés derrière le général en chef et les commandans de colonne qui ouvrent la marche, ils franchissent la Bab-Segma, les voûtes du nouveau Méchouar, tournent dans l’allée conduisant à Bou-Jeloud, et le sol gronde sous les sabots de leurs chevaux, sous le martèlement de leurs souliers ferrés. Devant la porte, les cavaliers mettent pied à terre, et confient leurs montures à des gardiens peu empressés. Et guidés par des « chaouchs » au fez rouge encerclé dans la galette rigide du turban blanc, ils pénètrent dans les jardins qui font un nid de verdure au Trianon marocain, et que nul Le Nôtre ne dessina. Plantés sans ordre et sans art, les arbres d’agrément et les arbres fruitiers mêlent au milieu des tomates, des oignons, des géraniums et des vignes, leurs parfums et leurs fruits. Une noria grinçante élève l’eau de l’oued Fez, qu’elle répand dans les canaux disjoints serpentant au bord des allées, dans le réservoir qui alimente les jets d’eau poussifs. Des tas d’ordures simulent, dans les parterres, des montagnes de jardins anglais ; des charpentes vermoulues soutiennent, sur les chaussées dallées de faïence, des voûtes branlantes de rosiers.

Mais une porte s’ouvre au milieu d’un grand mur blanc, et donne accès dans un porche obscur, compliqué, facile à défendre, que les officiers traversent entre deux haies de serviteurs goguenards et mal vêtus. Et, sans transition, la cohue bourdonnante se trouve sur une terrasse verte et blanche qui domine un jardin de petit rentier, où le sultan Moulay-Hafid, entouré de ses ministres et de notre consul, attend ses visiteurs. Grand et fort, bien drapé dans son burnous blanc dont le capuchon se relève sur le fez écarlate, la figure mangée par la barbe noire qui découvre deux lèvres sensuelles, les yeux rieurs, il apparaît comme un gros garçon réjoui. Avec des gestes gracieux, il s’incline devant les premiers arrivans que lui présente le général en chef, et promène dans ses dents éblouissantes le cure-oreilles d’or dont il joue négligemment. Soudain, un nuage d’étonnement mêlé d’inquiétude apparaît sur sa figure souriante. Le torrent d’officiers déborde autour de lui, se répand