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traits ce liquide douteux. Encouragés par l’exemple, les camarades se précipitent pour les imiter. Autour des fontaines on se bouscule et l’on échange des mots aigres, comme au buffet de l’Elysée. Devant l’originalité de ce spectacle, l’esprit français ne perd pas l’occasion de se manifester ; et le « five o’clock water » du Sultan devient aussitôt le synonyme d’une petite fête sans prétention et sans apprêt.

Enfin, des serviteurs arrivent, chargés de victuailles. Les cuisines impériales ne sont pas outillées pour tenir tête aux appétits de 150 hôtes inattendus ; mais le marché voisin a donné aux pourvoyeurs de Sa Majesté les ressources de ses limonades chaudes et de ses gâteaux rancis. Et, tandis que des officiers qui avaient congédié le personnel de leur popote en escomptant un goûter dînatoire sont déjà partis pour réparer leur erreur, leurs camarades font main basse avec joie sur les pâtisseries restreintes, dont ils comparent gravement les mérites avariés.

Dans la salle, un bruit de sièges remués annonce la fin prochaine de la réception. Lestement, les invités secondaires du Sultan s’éclipsent sans prendre congé. Altérés et affamés, ils se retrouvent dans la rue, et ne songent pas sans ennui à l’éloignement de Dar-Dbibagh. Mais des étalages hospitaliers et des voix engageantes les happent au passage : « Bon le du lait ! bon le du thé ! bon le du café ! » clament en fausset des indigènes qui sont fiers de parler français. Et, mêlés à la foule, les officiers, avant de se mettre en route, absorbent sans hâte ces liquides simples et réconfortans.

Au camp, où court déjà la description du « five o’clock water, » cette après-midi mémorable n’a pas été moins fertile en surprises, car les plantons des états-majors et les ordonnances des généraux ont laissé filtrer des renseignemens. Dans les tentes, tes soldats commentent fiévreusement la nouvelle qui sera officielle bientôt : une petite garnison de sûreté doit être laissée à Fez, et les troupes disponibles partent dans deux jours pour une destination inconnue.


PIERRE KUORAT