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Légende ou vérité, quoi qu’il en soit, le bourg de Dartford, le 5 juin, apparaît comme un lieu caractérisé du soulèvement. La bande qui y pénètre et s’en empare a pour chef un certain Abel Ker, d’Erith, village voisin planté sur le bord même du fleuve. Depuis trois jours, elle manœuvre aux environs et a même passé la Tamise pour opérer dans le pays d’Essex. A Dartford, elle s’installe et s’organise. Le lendemain 6, les insurgés prennent parti. Ils descendent l’estuaire par la rive du Sud, marchant sur Rochester. La ville est envahie, le château forcé. Du 7 au 10, ils progressent et s’affirment. Ils vont et viennent au- tour de Rochester, qu’ils occupent. Ils s’attaquent maintenant aux particuliers, à leurs demeures, à leurs coffres, à leurs personnes et à leurs têtes. Maidstone, à quelques milles de distance, a reçu leur visite. Sorti de son village, Wat Tyler, petit patron couvreur, qui peut-être, dans sa jeunesse, a fait la guerre en France, beau parleur et impérieux, disent les chroniques, semble déjà les conduire et occuper le rang de chef.

Le lundi, 10 juin, premier jour d’une effrayante semaine, en masse profonde, ils se présentent aux portes de Canterbury. A tort ou à raison, on les appelle maintenant les Communes.

A Canterbury se passent les événemens de rigueur. Paralysie des autorités municipales, envahissement du château, rupture des prisons, destruction des archives, sac de l’archevêché, pillage de logis de fonctionnaires, mise à rançon et mise à mort de personnages divers. Puis, dès l’aube, le lendemain, une bonne part de la population de la ville englobée dans leurs rangs, Wat Tyler, John Rakestraw, dit Jack Straw, et le prédicant John Ball à leur tête, leur colonne disparate s’allongeant à chaque mille de recrues nouvelles et de partisans résolus, ils reprennent leurs chemins de la veille et s’élancent à la conquête de Londres.

Du porche épiscopal de Canterbury jusqu’à la bruyère sombre qui tapissait alors la lande en arrière de Greenwich, on s’accorde à compter plus de vingt lieues. Le mercredi 12 juin, toutes les « communes » de Kent, grossies en route de mainte bande populaire du Sussex et du Surrey, parvenaient avec véhémence au campement historique de Blackheath. Leur trace était jalonnée de ruines. Une sorte de chanson contemporaine, en vers moitié saxons, moitié latins, décrit ainsi leur marche :