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ses deux mains vacillantes. Ses doigts, avec sa tête, finissent pourtant par tomber sur le sol.

Puis les quatres sanglans trophées, plantés sur de hautes piques, processionnel et monstrueux cortège, prennent la rue qui longe le fleuve et conduit au pont de Londres. Les quatre têtes y sont exposées publiquement. Celle du chancelier, qui domine les autres, est coiffée par dérision d’un chapel outrageux d’étoffe rouge.


L’après-midi fut sinistre. Le rôle et la suprématie de Wat Tyler s’accentuaient fortement. Il commandait et légiférait, devenait une manière de roi de Londres. Mais la foule, le « mob, » avait reniflé le sang. Il convenait maintenant de satisfaire et d’abreuver le monstre.

Toute la journée durant, les massacres se multiplient. Une sorte de méthode, mystique et sommaire, paraît y présider. La décapitation seule est employée, avec des façons de justice populaire exécutive et sans appel. La butte de la Tour voit arriver de nouvelles fournées de victimes. Un financier, Richard Lyons, est saisi et exécuté sur le Cheap. Les hommes de loi, les élèves légistes, les fonctionnaires, tous décrétés traîtres au peuple, sont dépistés, pourchassés, appréhendés par la plèbe et mis à mort. Bien des rancunes, bien des vengeances personnelles trouvent ainsi leur prétexte et leur place. Les Lombards, les Flamands surtout, sont assaillis et lynchés.

Depuis l’expulsion de 1290, il ne subsistait plus à Londres de population juive organisée. Mais les gens de Flandre, au parler germanique, pullulaient et commerçaient. Aux hommes de Bruges et de Gand, on fait prononcer à l’anglaise les deux mots « Bread and Cheese. » Qui ne le peut, qui ne le sait, le paye de sa vie. Le quartier flamand bordait la Tamise. Les cadavres sans tête s’y amoncellent, en paquets et par tas.

Guildliall, l’hôtel de ville, le donjon bourgeois de la Cité, connut l’envahissement et la torche. Une équipe incendiaire s’y transporte. Le dommage heureusement fut minime. Au palais de Westminster, le trésor royal est menacé. Ailleurs, sur les particuliers, c’est l’extorsion de fonds, proportionnelle et variée, qui sévit copieusement. Un ancien lord maire, plusieurs aldermen du parti de l’ordre, actuellement en charge, des commerçans de toute catégorie, des centaines de Londoniens sont ainsi rançonnés,