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Innombrables sont les faits de ce genre qui mouvementent ainsi les comptoirs, les boutiques et les maisons de la ville. Comme partisans fougueux des Communes, se distinguent quelques personnages étranges, un très gros bourgeois, Thomas Faringdon, un brasseur, Walter at the Key, un boucher, Adam at the Well. Paris, dans ses convulsions de jadis, a vu paraître ce type de révolutionnaires cossus. Ces directeurs de désordre, ces démagogues argentés rappellent fraternelle nient les agitateurs français de la faction bourguignonne. Ce sont les Caboche, les Le Goix, les Saint-Yon de la cité de Londres.

Entre temps, dans la région suburbaine, vers Hyde Park Corner, à Tothill sous Westminster, à Highbury sur la route du Nord, à Kennington et à Clapham sur l’autre bord de la Tamise, des manoirs, des maisons, des coffres sont dévastés et pillés. Les ruines de Highbury, autre domaine encore de l’ordre de l’Hôpital, résidence intermittente du trésorier massacré le matin même à la Tour, reçurent une désignation nouvelle, dramatiquement perpétuée. Longtemps après, légendaire et persistant souvenir, elles conservaient le nom de Jack Straw’s Castle, — château de Jack Straw, — le chef de la horde sauvage qui en avait opéré l’incendie.

Le roi, de la prairie pacifiée de Mile End, avait pu, en apprenant le massacre de la Tour, gagner sain et sauf, on ne sait par quel itinéraire, à l’autre extrémité de Londres, dans le quartier de Blackfriars, le logis domanial de la Garde-Robe, refuge précaire et quelconque. Sa mère l’y avait rejoint, pâmée de peur et à demi morte, enlevée à temps de la Tour par ses femmes et par quelques fidèles, et jetée tout éperdue dans un canot qui l’emporta sur le fleuve. On l’avait appelée, dans sa jeunesse, « la belle fille de Kent. » Le vainqueur de Poitiers l’avait eue pour épouse amoureuse. Maintenant des émeutiers vociféraient dans sa chambre, — sa chambre de femme et sa chambre de la Tour, — et saccageaient avec outrage son grand lit à colonnes injurieusement bouleversé.

Pendant le reste de la journée et jusqu’au matin qui se leva sur la ville, cet asile de fortune abrita ce qui restait du gouvernement de l’Angleterre. Sur Londres, cette nuit-là, nuit tragique entre toutes, semblaient résonner la prose terrifiante et les versets de colère du Dies Iræ des nations.