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Que laisserait la vie à nos cœurs maintenant
De plus exquisement suave que ces heures ?
Referme-toi sur nous, divine mer qui pleures
Au déclin de ce jour magique et rayonnant.

Qui sait ce que demain réserve à tant de joie ?
Qui sait ce que nous garde, hélas ! le sort jaloux ?
Dans ton écume, ô mer berceuse, engloutis-nous,
Tandis qu’autour de nous comme en nous tout flamboie.

Et nous n’évoquerons en ton sein refermé,
Entraînés par le rythme éperdu de la houle,
Quand la pourpre du ciel sur l’Océan s’écroule,
Que cet instant d’ivresse où nous aurons aimé.

SOIR EN MONTAGNE


J’ai gravi, par ce beau crépuscule d’été,
Ta cime abrupte, ô mont, noir de gorges secrètes,
Qui te casques de rocs et de sapins te crêtes,
Et jusqu’au plus altier faîte je suis monté.

La clarté déclinante enveloppe les choses.
Un calme élyséen plane. A peine distincts,
Quelque cloche, un torrent font vibrer des lointains
Noyés dans un brouillard tissu de gazes roses

Rougis d’obliques feux, des troupeaux mugissans
Mêlent, semant les prés de taches purpurines,
Aux tintemens épars l’angélus des clarines,
Et du mont solitaire animent les versans.

Une sereine extase, une paix infinie
Me gagnent. Le soleil, à peine disparu,
Couronne les sommets voisins, où l’ombre a crû,
Des pourpres de sa brève et royale agonie.