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Plus spécieuse m’apparaîtrait une autre explication, attribuant notre antipathie invincible pour l’art de Thackeray à un secret instinct qui nous avertirait de l’antipathie préalable du romancier anglais pour notre race française, comme aussi pour la religion de nos pères. « Ceux qui supposent que Thackeray détestait la France et les Français commettent une erreur tout à fait. gratuite, » nous assurait tout récemment encore M. Lewis Melville, le nouveau biographe de l’auteur d’Henri Esmond. Le reproche, si je ne me trompe pas, s’adressait expressément à moi, qui ai eu naguère, en effet, l’occasion d’affirmer ici ce peu de goût du romancier à l’égard de la France et de la religion catholique[1]. Mais aussi bien, sur ce dernier point, M. Lewis Melville lui-même a-t-il été forcé de me donner raison. Il reconnaît que Thackeray a toujours témoigné, pour le catholicisme, des sentimens d’une aversion mêlée de mépris ; et il cite, à ce propos, une page infiniment caractéristique, extraite de la relation d’un voyage du romancier au Quartier de Cornhill au Caire :


Je suis entré une fois dans une église, à Rome, sur la requête d’un ami catholique. J’y ai trouvé des murs tendus de bandes de calicot rose et blanc à bas prix, des autels couverts de fleurs artificielles, une foule de chandelles de cire, et une infinité d’ornemens en papier doré. L’endroit me donnait tout à fait l’impression d’un de nos théâtres de faubourg ; et voilà que mon ami, dans ce lieu, se prosterne à genoux, plongé dans un ravissement d’admiration et de dévotion ! Impossible, pour moi, de juger moins défavorablement cette église, la plus fameuse du monde. La tromperie y est trop ouverte et flagrante, les contradictions trop monstrueuses. Il m’est difficile, même, d’être en sympathie avec les personnes qui tiennent tout cela pour sincère ; et bien que, — ainsi que je l’ai reconnu dans le cas de mon ami de Rome, — toute la vie d’un croyant puisse s’écouler dans le plus pur exercice de la foi et de la charité, il m’est difficile d’accorder crédit de loyauté même à ce croyant-là, tellement grossières me semblent être les impostures qu’il fait profession d’accueillir et de révérer. L’homme raisonnable a besoin d’un effort non petit pour admettre même la possibilité de la foi ingénue d’un catholique ; et je n’ai pas réussi, pour ma part, à emporter de cette église d’autres émotions que celles de la honte et d’une vraie souffrance.


« Thackeray, — écrit M. Melville, — méprisait tous les catholiques, en raison de leur religion ; et toujours il s’est exprimé là-dessus avec une extrême rudesse. » Mais, au contraire, le biographe de l’illustre romancier ne consent pas à me laisser dire que celui-ci ait

  1. Voyez la Revue du 15 avril 1906.