Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 5.djvu/538

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

parole. Je ne songe pointa lui reprocher un scrupule qui est la condition même de l’esprit scientifique. Mais je me dis qu’il pourrait, sans trahir la science, rejeter dans des appendices ou, au besoin, dans une publication spéciale, la partie la plus sévère de ses démonstrations, et donner à son livre, dont il aurait ainsi allégé et régularisé le cours, plus de rapidité, plus de force, plus de vie. Huit cents pages sur Ronsard, poète lyrique ! Et M. Laumonier n’a fait entrer dans son sujet ni les Sonnets, dont la plupart ne sont pourtant que des strophes lyriques, ni les Hymnes, ni les Poèmes, où tant de lyrisme éclate ! À quand le Ronsard poète épique ? Et le Ronsard sonnettiste ? Renan prévoyait que l’histoire littéraire finirait par remplacer la lecture des auteurs. Il est à craindre qu’elle finisse par s’anéantir elle-même sous son énorme poids. Rappelons donc aux érudits que la sobriété est toujours une vertu ; que, sous peine de confusion, la science pas plus que l’art ne saurait se dispenser de choisir ; et que leur intempérance n’est souvent qu’une rhétorique de l’érudition.

Cette remarque s’impose surtout quand l’érudit est, comme M. Laumonier, un excellent critique et un écrivain de talent. Ce n’est point en diminuer le mérite exceptionnel que de regretter que son livre, si riche, et désormais indispensable à la connaissance exacte de Ronsard, ne puisse circuler sous une forme plus légère et inspirer à beaucoup de lecteurs, comme à nous, le désir de reprendre et de relire, d’un bout à l’autre, l’œuvre du poète. Nous voudrions en dégager ici les idées qui nous ont paru le plus nouvelles, et, tout en nous servant des autres travaux, présenter quelques réflexions sur la première jeunesse de Ronsard, — sur l’évolution de son génie, — enfin sur la magnifique diversité de son œuvre tout entière.


I

De la vie de Ronsard et sur la formation de son génie, je ne relèverai que deux ou trois points importans. Et d’abord, il faut renoncer aux légendes dont il se plaisait à envelopper l’origine de sa famille. Rien n’est moins prouvé, ou, si vous voulez, rien n’est plus fabuleux que sa prétention à descendre d’un marquis de Ronsart,


Riche d’or et de gens, de villes et de terres,