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qui fût venu de la Roumanie pour servir Philippe de Valois contre les Anglais. Les champs voisins de la Thrace, baignés par « le glacé Danube, » ne nous ont point envoyé notre Orphée. Tant pis pour les Roumains ! Il est à nous tout entier. Ses ancêtres, pas plus que ceux de Victor Hugo, ne furent de grands seigneurs. « Nés du riche terroir vendômois, nous dit M. Longnon, et, durant des générations, vivant de la vie même de la nature, nous les voyons d’abord garder l’ombreuse forêt de Gâtine, exploiter en hobereaux leurs terres et leurs prés de la vallée du Loir, puis s’élever lentement, par degrés, jusqu’au service personnel et politique du Roi. » Son grand-père et ses arrière-grands-pères ne furent sans doute que de simples écuyers ; et son père, Louis de Ronsard, le premier chevalier de la famille. Mais la faveur royale s’était étendue sur eux. Louis de Ronsard, maître d’hôtel du Dauphin, tour à tour homme de guerre et diplomate, fort instruit et même poète à ses heures, nous apparaît comme un de ces rudes Français aventureux, que leurs campagnes en Italie avaient affinés et qui en avaient rapporté, avec le sentiment de l’art, le goût d’une civilisation plus voluptueuse. Sa fierté, dont hérita son fils, s’accrut encore lorsqu’il eut épousé l’héritière d’une des plus illustres familles du Poitou, Jeanne Chaudrier, fille de Jean Chaudrier, seigneur de Cirières, la riche, belle et noble veuve de messire Guy des Roches, seigneur de la Basme. Elle était, à dire vrai, veuve pour la seconde fois, car, avant d’épouser Guy des Roches, elle s’était fait enlever par le seigneur de la Rivière, Jacques de Fontbernier. Ronsard ne nous parle jamais de sa mère. Nous ne savons d’elle que le roman de sa dix-septième année, un roman d’orpheline dépouillée par son oncle, mal gardée par sa grand’mère et qui se sauve sous un déguisement au bras d’un hardi cavalier[1]. Il se peut que Ronsard ait tenu d’elle sa fantaisie et son humeur amoureuse.

Le château de la Poissonnière, où l’enfant fut élevé, avait été rebâti ou restauré par Louis de Ronsard. C’était un château conçu comme ceux du Moyen Age, mais où avaient passé des artistes italiens. La cheminée de la grande salle en était fameuse,

  1. Selon M. Laumonier, Jacques de Fontbernier la garda trois mois et refusa de l’épouser ; selon M. Longnon, ils se fiancèrent par-devant un prêtre et demeurèrent deux mois ensemble ; mais Louis XII, irrité, exigea de Fontbernier un désistement de sa promesse de mariage.