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L’hymne que Marot te fit
Après l’heur de ta victoire,
Prince vainqueur, ne suffit
Pour éterniser ta gloire...


Le poète doit être un savant que les dieux inspirent. Il n’écrit pas pour la multitude qui ne pense ni ne parle comme lui. Pourquoi lui demander d’être clair ? Les oracles s’enveloppent d’obscurité ; et le Dircéan Pindare est obscur. Mais Dieu ne se montre point libéral d’une si belle science ; et, pour atteindre les -sommets de la poésie, ce n’est pas trop que de réunir en soi toutes les noblesses. Ne vous étonnez point qu’Horace, dont les vers ont pourtant une grâce divine, n’ait pas osé pindariser.


Horace, harpeur latin,
Étant fils de libertin.
Basse et lente avait l’audace ;
Non pas moi, de franche race !...


Il pindarisera, lui ! Il fera même revenir l’usage de la lyre antique « laquelle lyre seule doit et peut animer les vers et leur donner le juste poids de leur gravité[1]. » Et non content d’être le Pindare de la France, il en sera l’Homère. Qu’Henri II lui accorde sa faveur, et il écrira l’épopée de nos rois. L’Ode sur la Paix de 1550 sonne déjà la gloire de Francus.

La vie allait bientôt rabattre un peu et même beaucoup de ces présomptions juvéniles. C’est en 1545 qu’il s’était mis à l’école de Daurat, et en 1550 que paraissaient, avec un succès retentissant, les quatre premiers livres de ses Odes, précédés d’une préface agressive à l’égard des Marotiques et méprisante pour les poètes de cour. Le travail de M. Laumonier nous permet d’y suivre la marche ascendante de son ambition et, bien qu’il n’ait jamais rompu avec Horace, le progrès de son pindarisme. Deux ans plus tard il publie ses Amours imités en grande partie de Pétrarque et de Bembo et le cinquième livre de ses Odes qui contient son chef-d’œuvre pindarique, l’Ode à Michel de l’Hôpital. Mais, dès 1551, avait commencé à décroître sa

  1. Les vers se chantaient encore à l’époque de la Renaissance. On les accompagnait sur la harpe, le luth ou la guitare. Ronsard adorait la musique et l’union de la musique et de la poésie. Aucun poète ne fut plus chanté que lui. Son Cinquième livre des Odes (1552) parut, nous dit M. Laumonier, avec trente-deux feuillets de musique polyphonique à quatre parties.