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ferveur pour « les saintes conceptions et les admirables inconstances de Pindare. » Elle ne se ranimera plus qu’une seule fois en 1554 dans l’Ode à Monsieur le Dauphin. Et, à partir de 1555, nous voyons Ronsard, dans les nouvelles éditions de ses œuvres, qu’il remanie sans cesse, corriger ou supprimer des pièces qui lui semblent aujourd’hui trop orgueilleuses ou trop combatives. Il a déjà fait amende honorable à notre vieille poésie et s’est réconcilié avec les Marotiques. Sa crise de vanité intellectuelle n’avait pas duré cinq ans ; et il entrait à peine dans sa trentième année.

Qu’était-il arrivé ? Ceci d’abord, que les grands poètes ne peuvent jamais, malgré qu’ils en aient, se passer d’être compris d’un plus grand nombre d’hommes. Quand ils prétendent qu’ils haïssent le vulgaire, ils obéissent simplement à un mouvement d’humeur ou ils cèdent à l’attrait d’un thème avantageux. Aux plus beaux jours de son insolence, Ronsard se félicite que Ronsard soit élu


Harpeur français, et, quand on le rencontre,
Qu’avec le doigt par la rue on le montre.


Et un temps viendra où il lui sera doux de penser que le seul bruit de son nom réveillera les servantes


Déjà sous le labeur à demi sommeillant.


Sa superbe était sincère ; sincère, sa conception d’une poésie ésotérique ; mais plus vivace encore, son besoin de se répandre. Il sentit très vite qu’une muse hautaine et dédaigneusement érudite lasserait l’admiration même de ses fidèles. J’imagine qu’en lisant ses vers à ses amis, et sinon à Daurat, peut-être à Du Bellay, il dut remarquer plus d’une fois que leur visage se détendait, quand de l’imitation de Pindare il descendait à celle d’Horace et des nuages de l’Olympe aux bords clairs de son Loir. Il reçut des avertissemens discrets. Lorsqu’en 1551 son ami Denisot publia le Tombeau de Marguerite de Valois, Reine de Navarre, les poésies que Ronsard avait écrites en l’honneur de cette princesse furent les seules du recueil qu’il jugea nécessaire de commenter. « Amy lecteur, disait-il, je t’ai bien voulu faire quelques petites annotations sur les Odes de Ronsard, te promettant continuer à l’avenir sur toutes ses œuvres, affin de te soulagier de peine ; j’entends à toi qui n’as encor longtemps