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versé à la leçon des Poètes. » Cet affin de te soulagier de peine ne fut probablement pas du goût de Ronsard, puisque les notes du bon Denisot disparurent à la réédition de ces pièces.

Il est vrai qu’en 1553 les Amours étaient réimprimés avec un abondant commentaire de Marc-Antoine de Muret. Ronsard avait été flatté sans doute que ce jeune professeur, savant et déjà célèbre, se fît son scoliaste. Mais, pour habile que fût la préface de Muret, je me demande si le poète ne trouva pas matière à réflexion dans des phrases comme celle-ci : « Je puis bien dire qu’il y avait quelques sonnets dans ce livre qui d’homme n’eussent jamais été bien entendus, si l’auteur ne les eût, ou à moi, ou à quelque autre, familièrement éclairés. » Un Dante ne se préoccupe point de savoir si l’on se perdra à sonder sa profondeur. Mais, ici, ce n’était pas la pensée qui était profonde : ce n’était que l’érudition. Derrière « l’oracle, » il n’y avait guère que des allusions mythologiques et des ellipses. Un homme ambitieux comme Ronsard se blase assez vite sur le plaisir d’exercer la sagacité des commentateurs, surtout quand ses ennemis se travaillent à obscurcir sa gloire de toutes les obscurités de son œuvre. On commençait à railler ce poète qui se faisait suivre d’un interprète, chargé d’expliquer au public ce qu’il avait voulu dire. Les Marotiques, représentés à la Cour par le spirituel Mellin de Saint-Gelais, avaient riposté à ses attaques. Si la reine de Navarre et Michel de l’Hôpital n’étaient intervenus, la moquerie de ce fin courtisan nourri d’italianisme, que Ronsard pouvait considérer comme un envieux, mais non pas comme un « soudard de l’ignorance, » l’aurait perdu dans l’esprit d’un roi qui préférait naturellement les vers que l’on comprend sans peine à ceux que l’on ne comprend pas. Avec la sincérité qu’il a toujours eue, Ronsard nous avoue qu’il sentit cruellement « la pince de la tenaille de Mellin. » Ajoutez que son défenseur Michel de l’Hôpital lui conseillait, au lendemain d’une victoire qu’il n’estimait peut-être pas encore très assurée, de faire la paix et de « s’abstenir des nouveautés bizarres. »

Ce n’était pas seulement l’intérêt de sa gloire qui agissait sur Ronsard, c’était aussi son tempérament. En 1553, l’éditeur des Amours mettait en vente Le Livre de Folastries, sans nom d’auteur. Personne ne s’y trompa. Cette explosion de sensualité paillarde, relevée de souvenirs antiques, en dénonçait l’auteur et s’expliquait par la chaste contrainte où l’avait tenu la muse