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Sur les quarante-huit corporations professionnelles qui existaient au XVIe siècle à Saint-Omer, il n’y en avait pas une de femmes. A l’autre extrémité de la France, à Apt, la filature de la laine était le seul métier qui en occupât. Mais à l’encontre de la conclusion exagérée que l’on pourrait tirer de ces faits, il y a plusieurs remarques à soumettre au lecteur. D’abord, les corporations mixtes, celles qui comprenaient des patronnes aussi bien que des patrons, doivent être prises en considération. Telles étaient à Rouen celle des drapiers-drapières, à Paris celles des grainiers-grainières, des brodeurs-brodeuses, des tisserands-tisserandes en toile et canevas, à Reims celle des bonnetiers-bonnetières. Nous n’y ajoutons pas celle des linières-chanvrières de Paris, bien qu’elle contînt l’élément masculin qui figure quelquefois dans le titre de la corporation, et nous avons préféré la ranger parmi les corporations féminines parce que les hommes n’y tenaient d’autre place que celle qu’ils occupaient dans la jurande. Les corporations mixtes étaient fondées sur l’égalité professionnelle des deux sexes et elles poussaient le respect de cette égalité jusqu’à partager entre eux la jurande. Les attributions des maîtresses jurées pouvaient d’ailleurs différer de celles des maîtres jurés, et il est probable qu’elles en différaient en ce point que les uns et les autres avaient affaire, pour la surveillance comme pour les autres rapports corporatifs, avec les personnes de leur sexe.

Beaucoup de femmes parvenaient donc directement aux privilèges de la maîtrise. Bien plus nombreuses étaient celles qui les tenaient de l’alliance et de la filiation, d’un mari ou d’un père. Le droit commun assurait à la veuve la maîtrise du mari. Mais si la veuve était incapable de tenir l’atelier ou la boutique du défunt ? Alors elle placera à la tête de l’un ou de l’autre un compagnon qui devra parfois être agréé par la corporation. Situation délicate, qui mettait la compétence d’un côté, le titre de l’autre, mais qui s’arrangeait souvent par un mariage. La veuve facilitait à ce nouveau mari l’accès de la maîtrise à la condition qu’elle n’eût pas, par son inconduite, fait tort à la mémoire du premier. Pour un candidat qui avait déjà fait son stage, qui allait épouser la veuve d’un maître, les conditions d’admissibilité devenaient moins sévères ; on ne lui demandait, par exemple, qu’un demi-chef-d’œuvre. On disait que la veuve « affranchissait » son mari. On le disait aussi des filles de