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hommes, avaient passé dans les mains des femmes. C’était le cas de presque toute la boulangerie à Tulle. A Rennes, au contraire, dans la plupart des corporations, la maîtrise n’était accessible qu’aux hommes. C’était seulement chez les marchands, c’est-à-dire chez les merciers et chez les blanconniers, qu’il en était autrement, mais cette exception n’était qu’apparente, car elle n’était faite qu’en faveur des filles de maîtres, c’est-à-dire que le privilège du sang prévalait seul sur l’inégalité des sexes. C’est ainsi que les ceinturiers de Paris, n’admettant pas de filles à l’apprentissage, dérogeaient à cette règle pour les filles de maîtres. Les cartiers de la capitale occupaient des ouvrières aussi bien que des ouvriers, et les premières étaient dispensées d’apprentissage et devenaient directement compagnonnes quand elles étaient filles de maîtres. Les poupetiers parisiens ne recevaient pas de femmes à la maîtrise. On est surpris d’en trouver dans un métier aussi pénible que le foulage du drap ; à Paris pourtant, elles fournissaient à cette industrie des apprenties et des ouvrières. On s’étonne moins après cela d’en rencontrer, comme à Apt, qui servent de manœuvres à des maçons. On s’étonne moins encore d’en voir exécuter à la campagne des travaux qui conviennent mieux à des hommes, les travaux agricoles étant de ceux où l’on tient le moins compte de la différence entre les deux sexes.

Quelle idée peut-on se faire, d’après tout ce qu’on vient de lire, du sentiment public à l’égard du travail féminin ? Était-ce la prévention qui y dominait, prévention inspirée par l’instinct tenace de l’infériorité de la femme ou par la crainte de sa concurrence ? Était-ce, au contraire, un généreux intérêt pour sa faiblesse, le souci de la préserver contre les tentations ? Était-ce enfin, par impossible, la chimère d’effacer les distinctions naturelles et sociales entre les deux sexes ? Aucun de nos lecteurs ne prendra au sérieux cette dernière supposition. Ce n’est pas qu’on ne trouve, à l’époque que nous étudions, des traces de féminisme, et l’on ne s’en étonnera pas si l’on songe à la distinction d’esprit et de cœur par laquelle tant de femmes de cette époque ont, pour ainsi dire, plaidé sa cause, mais ce féminisme-là n’a consisté que dans la revendication de la parité intellectuelle et morale des deux sexes ; il n’avait rien de commun avec ce qu’on peut appeler le féminisme économique, avec celui qui cherche à ouvrir le plus de débouchés possible à l’activité