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Milan. Celle-ci, à son tour, ayant été proscrite, le public se jeta sur la dentelle que l’on mit partout et jusque sur les meubles. Les hommes de gouvernement s’alarmèrent de ce que cet engouement coûtait au pays et rapportait à l’étranger. Après 1629, les découpures et broderies de fils furent interdites à leur tour, et cette interdiction ne resta pas un vain mot. En 1635, à Paris, pour ne donner qu’un exemple de la sévérité de la répression, six femmes sont condamnées, pour avoir porté de la dentelle, à 1 500 livres d’amende chacune. On revint alors au clinquant, et ce fut grâce à cette lutte entre le luxe et les préoccupations économiques et morales du gouvernement, aux compromis auxquels elle aboutit, que le costume français acquit le caractère sobre et élégant qui le distingua de 1625 à 1635.

Les arts de l’aiguille durent beaucoup de leur développement aux ouvroirs des orphelinats et des couvens. Les orphelines de l’hôpital Sainte-Anne, à Dijon, se livraient au travail de la tapisserie, des nuances, du point coupé, du point d’Espagne et de Gênes. Celles qui étaient élevées par la congrégation de la Providence ou des Filles Saint-Joseph à Bordeaux et à Paris excellaient dans la lingerie, le point coupé, la dentelle, la tapisserie et dans tous les ouvrages de femmes, et la vente de ces ouvrages contribuait notablement à l’entretien de la maison. Madeleine Warin, à peine entrée, en 1627, aux Ursulines d’Amiens, y ouvre un atelier de dessin, de peinture et de broderie qui reçoit, l’année suivante, la visite et les encouragemens d’Anne d’Autriche et devient une école artistique. Les orphelines des hospices parisiens de la Miséricorde, de la Trinité et du Saint-Esprit qui se destinaient aux arts et métiers, n’y restaient que jusqu’à l’âge de l’apprentissage, mais elles ne les quittaient pas sans avoir acquis une certaine pratique des travaux d’aiguille. A Arras, où il remontait jusqu’à Charles-Quint, l’art de la dentelle naquit et fleurit dans les couvens de femmes et les maisons religieuses vouées à l’éducation des filles pauvres. Les élèves de la communauté des Filles de Sainte-Agnès, par exemple, en faisaient leur principale occupation. A Valenciennes, à la fin de notre période, les Badariennes ou Filles de la Sainte-Famille, fondées par Françoise Badar, dirigeaient cinq ateliers de dentellières. En 1637, Gabrielle de Stainville lègue 8 000 livres pour l’achat d’une maison où seront logées quatre filles dévotes qui enseigneront aux filles pauvres à faire de la dentelle.