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corps aujourd’hui ait déjà passé par les tissus d’une infinité d’êtres humains, d’animaux et de végétaux, sans compter, comme incidens, leur fixation provisoire dans certaines masses non organiques, comme l’atmosphère, la masse des océans et même diverses roches pierreuses.

Pourquoi ne pas ajouter en passant, et au profit de nos conclusions ultérieures, que cela fait apparaître un être vivant considéré à part sous un jour très particulier ? Ce qui le constitue essentiellement n’étant pas la substance de ses tissus, puisqu’elle est changeante de jour en jour, on est réduit à voir en lui avant tout un foyer dynamique, un centre d’où émane un concert de forces auxquelles cèdent les particules extérieures. Attirées par lui, celles-ci constituent, autour de ce point singulier, une enveloppe dont il détermine la forme et qui seule lui permet d’entrer en relation avec ce qui n’est pas lui ; repoussées après leur service accompli, ces particules retournent au grand Tout, sans rien conserver en elles qui puisse rappeler leur éphémère condition de corps organisé et vivant.

Ce torrent vital a été plus d’une fois comparé à des objets purement matériels dans lesquels l’activité biologique est remplacée simplement par des dynamismes physiques, capables de déterminer des apparences stables relativement à l’état essentiellement errant de leurs élémens. Une chute d’eau quelconque est dans l’état dont il s’agit : le poète assis devant le tourbillon aqueux, vibrant d’émotion au spectacle des paraboles liquides et des remous écumans, accorde à ce tumultueux ensemble une personnalité véritable ; et cependant celui-ci, malgré la précision de ses formes que la photographie peut reproduire, est sans cesse reconstitué par des myriades d’atomes qui ne font que traverser avec une vertigineuse rapidité une région où sont associées, et souvent en conflit, des forces de projection et de résistance convenablement distribuées. La chute existe incontestablement, mais la substance qui la compose se signale avant tout par son insaisissable inconsistance.

Cependant, et pour en revenir aux migrations chimiques du carbone, le tourbillon qui l’emporte au travers des catégories d’êtres vivans, admet une espèce de tempérament et il se concilie avec des momens de stagnation au moins relative. La conservation du bois dans la vase submergée, bien qu’elle dégage du gaz des marais qui est un composé carboné, assure la persistance