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Au début du Xe siècle, Abbon définit la personne royale. À quoi la reconnaît-on ? « À ce qu’elle est l’incarnation de la justice ? » Il déclare que le métier de roi consiste à remuer les affaires du royaume, « de crainte qu’il n’y reste caché quelque iniquité. » Fulbert de Chartres dit au XIe siècle : « Le Roi est le sommet de la justice. » Nous pourrions multiplier les citations. Aussi bien c’est en justicier que le roi de France apparaît dans toutes les chansons de geste.

Au milieu de ses sujets, le Roi était la source de la justice, toute justice émanait de lui.

Il ne pouvait en être autrement.

Au-dessus des mille et mille groupes locaux, familles, seigneuries, villes et communautés, qui se partageaient le royaume, le monarque était l’unique autorité commune, et susceptible par conséquent d’intervenir dans les différends qui venaient à se produire entre eux. Comme chacun de ces groupes vivait et s’administrait d’une manière indépendante, il ne restait au Roi d’autre fonction que de les faire s’accorder pour le bien général. « Dès que le Roi est couronné, écrit Abbon (Xe siècle), il réclame à tous ses sujets le serment de fidélité, de peur que la discorde ne se produise par quelque point du royaume. » Bodin dirait plus tard : « Le prince doit accorder ses sujets les uns aux autres et tous ensemble avec soi ; » résumant en deux lignes l’histoire de la fonction royale.

Dans le premier âge assurément, ce rôle de justicier ne fut pas celui d’une magistrature assise, on dirait plutôt d’une magistrature à cheval. La robe fourrée de vair est remplacée par la broigne de cuir plaquée de fer ou par le haubergeon à mailles d’acier, la main d’ivoire par la lance ou l’épée. On voit sans cesse le magistrat suprême sur les routes portant heaume lacé, gorgerin, cuissard et haubert. Durant bien des années, multipliant les plus laborieuses expéditions, les combats meurtriers, les rudes assauts donnés aux places fortes, le Magistrat a dû lutter sans trêve pour imposer son autorité, avant que celle-ci ne pût prévaloir dans l’ensemble du pays.

Car il ne faudrait pas que le tableau tracé précédemment, où l’on a vu l’extension progressive de l’action exercée par la maison royale, — qui en arriva « au long aller, » comme dit Duchesne, à comprendre le pays tout entier dans le développement de ses traditions familiales et de ses usages domestiques,