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— fît illusion sur les conditions où cette autorité patronale avait grandi et s’était d’âge en âge fortifiée.

Nous avons montré précédemment l’anarchie des VIIIe et IXe siècles, au milieu de laquelle s’étaient organisés, en si dur labeur, les élémens d’une société nouvelle. Cette société s’organisa et les invasions barbares cessèrent de déferler en flots tumultueux, soit que les barbares fussent retournés dans leurs pays d’origine, soit qu’ils se fussent fixés sur le sol gaulois : mais, après que la société féodale se fut constituée en une infinité de groupes locaux, dont chacun s’était agrégé autour d’un chef de famille, d’autres désordres devaient se produire sur les points les plus divers, car ces innombrables groupes féodaux ne tarderaient pas à entrer en lutte les uns contre les autres : entreprises, représailles, vengeances et revanches, prises et rescousses. Ce n’est plus l’anarchie et le pillage désordonné du temps des invasions ; mais, par le caractère même des mille et mille petits États féodaux qui grouillent par tout le pays et le divisent, — repliés sur eux-mêmes et hostiles à tout ce qui vient du dehors, — la France n’en retourne pas moins à l’état de guerre comme à un état normal et permanent. Il n’est seigneurie, de quelque nature qu’elle soit, qui n’ait besoin de nombreux hommes d’armes pour assurer sa sécurité ; et, ces hommes d’armes, comment les entretenir sans les profits de la guerre ? La guerre vit de la guerre, elle en naît et la reproduit.

Vers la fin du Xe siècle, le pillage est devenu pour les barons une manière ordinaire de gagne-pain. « Chacun d’eux, note Richer, cherche à s’agrandir comme il peut... Leur préoccupation suprême est de s’enrichir des dépouilles d’autrui. » On voyait sur les routes les nobles chevaliers poussant devant eux le butin conquis en leurs « entreprises, » leur « proie, » pour reprendre l’expression du temps. « Ah ! quel honneur ! s’écrie le troubadour Guiraud de Borneil, de voler bœufs, moutons et brebis. Et là est l’honneur maintenant. Honni soit-il, s’il paraît devant une dame, tout chevalier qui, de sa main, pousse un troupeau de moutons bêlans ou pille les églises et les voyageurs ! »

En 1023, Warin, évêque de Beauvais, soumet au roi Robert le pacte de paix qu’il se propose de faire jurer aux seigneurs. On y lit : « Je n’enlèverai ni bœufs, ni vaches, ni aucune bête