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les provinces diverses, était considérée comme formant un tout homogène, une manière d’Etat existant en dehors même de ses frontières, disséminé par morceaux sur le pays tout entier. Un seigneur était-il entré en lutte contre un voisin sur les confins des marches de Bourgogne, on voyait ses partisans, sans crier gare ! envahir les domaines de ses cousins en Champagne et dans l’Ile-de-France. Les familles des deux adversaires étaient nécessairement englobées dans la lutte, jusqu’au degré, fort éloigné au Moyen Age, où le mariage était permis entre parens.

La moindre guerre privée se répétait ainsi de tous côtés, avec son cortège inévitable de meurtres, de pillages et d’incendies. Abus que combattit « la quarantaine le Roi, » dont Beaumanoir attribue l’établissement à Philippe-Auguste. Par elle furent du moins imposés quarante jours d’intervalle entre la déclaration des hostilités et la prise d’armes, pour permettre à ceux qui n’avaient pas été mêlés à l’origine du conflit, et qui devaient y être entraînés par leurs liens de parenté, de se mettre sur la défensive : répit et mesures de protection qui souvent ne laissaient pas de faire réfléchir l’agresseur.

La « quarantaine le Roi » nous amène aux « institutions de paix, » que les rois vont superposer à leur action militaire ; car, par la place qu’il occupe au sommet de la hiérarchie sociale et par le caractère patronal de son autorité, le prince est surtout et pour tous le pacificateur. Vers lui on voit affluer, sous la plume de Raoul Glaber (XIe siècle), les multitudes éplorées. Elles arrivent à lui ; elles couvrent la plaine de leur fourmillement ; elles tendent vers le ciel leurs bras innombrables en criant avec désespoir : « Paix ! paix ! paix ! » pressées autour de leurs évêques qui lèvent leurs crosses dorées.

Les premières ordonnances que les rois ont édictées contre le droit de guerre privée sont du commencement du XIIe siècle. Nous n’en suivrons pas le détail. Elles se succèdent jusque sous le règne de saint Louis.

Par son activité, appuyée de son prestige moral, la monarchie en arrive ainsi, au XIIIe siècle, à porter son autorité si haut que chacun, jusque dans les provinces les plus éloignées, la regarde avec crainte, avec affection, avec respect, ce qui lui permet de transformer cette autorité en une source de justice, source intarissable et dont les flots couleront en tous lieux.