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sociétés, dont la féodalité se composait, avait tourné ses efforts contre ce qu’elle considérait comme l’étranger, c’est-à-dire contre les sociétés, seigneuries ou communautés voisines ; mais du jour où la féodalité commença à se désorganiser, du jour où se produisirent dans les villes les terribles luttes civiles qui firent couler des ruisseaux de sang, — soulèvemens des communes contre leurs suzerains, puis, à l’intérieur des cités, guerre féroce de la classe ouvrière contre le patriciat, suivie, après le triomphe du « commun, » des violens conflits entre les corporations dominantes, — l’autorité royale, toujours dans la seule vue de maintenir la paix, transforma proportionnellement l’action qu’elle avait été appelée à exercer, et progressivement cette action devint plus importante encore, elle pénétra jusqu’aux masses populaires, en s’accroissant précisément de tout ce que perdaient les autorités locales exercées par la noblesse féodale ou par le patriciat.

Et la « paix du Roi » continua de s’étendre sur le pays.

Le spectacle devient saisissant à l’époque du roi Jean. Il est prisonnier à Londres. Quels flots de calamités tombent à ce moment sur le royaume qui devient la proie des plus effroyables déchiremens ! Le désastreux traité de Brétigny sera la conséquence de la captivité du Roi ; car la dernière expédition d’Edouard III en France (1359-1360) resta sans influence sur le cours des événemens. Pour le salut du pays il fallait que la « prison du Roi » fût abrégée. Telle était la situation du monarque au sein de la nation, et telles étaient les conditions où vivait la nation elle-même, que l’absence du souverain, — quelle que fût en la circonstance la médiocrité du personnage, — déchaînait la guerre civile.

Jeanne d’Arc le comprendra quand elle mènera Charles VII à Reims (1429) : tant que le Roi n’est pas sacré, il n’est pas pleinement souverain ; nombre de ses sujets ne se sentent pas tenus par les liens de l’obéissance. En 1484 encore, les États généraux demandent que le Roi soit sacré et couronné « pour éviter les grands maux qui peuvent advenir. »

Au XVIe siècle, les légistes continueront d’écrire : « Les grands fiefs se départent à l’épée, les petits à la plume ; » mais ils ne sont plus que l’écho du passé. Les guerres féodales ne marquent plus qu’un mauvais souvenir ; celle de Foix (1484-1512) en avait été la dernière ; partout le Roi était parvenu à imposer sa