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l’artiste, sa « croix, » dirait-il en son pieux langage de prêtre, qu’il a faite ici mélodieuse et que nous écoutons chanter.

La composition nouvelle de Mgr Perosi nous attire et nous retient premièrement par ce caractère personnel, le même qui donne un intérêt particulier à certaines œuvres des maîtres. Il suffirait de citer, parmi celles-ci : de Rust, un lamento (Wehklage) sur la mort de son fils ; de Jean-Sébastien Bach, le Capriccio descriptif sur l’éloignement d’un frère chéri ; de Beethoven enfin, la célèbre sonate dont les trois parties s’intitulent les Adieux, l’Absence et le Retour.

Et puis et surtout l’In patris memoriam est assurément l’un des ouvrages où se montre le mieux la sensibilité particulière et la nature même du musicien. On pourrait la définir une sorte de lyrisme intime, de tendresse passionnée, mais contenue. S’il n’est pas vrai que la musique de Mgr Perosi manque toujours de puissance, il semble au moins que le dedans plus que le dehors l’attire, l’inspire, et qu’à l’étendue elle préfère la profondeur. Non pas, encore une fois, qu’en mainte page, éclatante ou grandiose, elle ne se soit élargie et déployée. Faut-il rappeler aux Parisiens, qui l’entendirent naguère, la seconde partie de la Résurrection du Christ ? Elle se nommait « l’Aube du triomphe, » et, matinale et triomphante en effet, elle justifiait son nom. Dès le début, au-dessus du sépulcre par le miracle ouvert, un grand souffle de joie balayait le ciel printanier. Un alleluia liturgique passait et repassait dans l’azur. Puis c’était la venue de Madeleine, son angoisse, sa recherche fiévreuse, éperdue ; enfin, plus pathétique encore, sa rencontre avec le jardinier divin et, répondant au maître qui la nomme, son cri, le plus émouvant que des lèvres, du cœur de cette femme, la musique ait jamais arraché. Voilà des traits, des traits de flamme, qu’on ne saurait omettre sans obscurcir la figure du musicien. Mais pour que celle-ci « ressemble » tout à fait, il en faut encore moins négliger les ombres, les demi-teintes et les aspects mystérieux. Dans la seconde partie également du même oratorio, plus loin, je sais une autre apparition du Christ à ses disciples rassemblés. C’est un Rembrandt après un Rubens. Ici deux mots, deux mots seulement : Pax vobis ! par l’étrangeté de l’intonation, des harmonies et des modulations, nous découvrent l’autre face et comme le pôle opposé de l’idéal, un abîme, — tout intérieur, — de souffrance à peine oubliée, de mélancolie et d’amour.

Tel est en général, à part quelques réserves que nous aurons à faire, le sentiment du nouvel oratorio de Mgr Perosi. L’œuvre se rapproche ainsi beaucoup plus du Dies Iste, donné au Trocadéro