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seule et le chœur se répondent : l’une plaintive et douloureuse, l’autre apaisant et consolateur. Pour la seconde fois, avec les paroles de Job, la musique s’emporte, s’irrite. L’âpreté de tel ou tel accent évoque certains éclats pathétiques de la Résurrection. Puis, de nouveau, le chœur intervient. A la déclamation véhémente il n’oppose que la douceur, ici peut-être un peu naïve, d’un cantique ingénu. Mais le pur et pieux musicien n’eut jamais honte de ces mélodies innocentes, et dont l’innocence même, comme celle des enfans, loin de faire sourire, attendrit.

L’œuvre se poursuit ainsi, partagée entre une voix et toutes les voix, entre la terre et le ciel, entre la misère humaine et la miséricorde de Dieu. Sur la mélodie passionnée, il semble qu’avec douceur, avec indulgence, la polyphonie constamment descende et se pose. Elle l’enveloppe à la fin de calme et de sérénité. Voici le centre ou le cœur de l’ouvrage. Il bat maintenant, ce cœur meurtri, sans violence ni révolte. « Mon Dieu, suppliait Veuillot, laissez-moi ma douleur, mais ôtez-moi mon désespoir. » La page de musique où nous arrivons ne serait pas indigne de cette héroïque épigraphe. En outre, pour le sentiment et pour le style, comme fond et comme forme, elle est un exemplaire insigne de la mélodie perosienne. En voici les paroles ; il convient de les citer, ne fût-ce que pour montrer avec quelle souplesse, quelle exactitude s’y adaptent les sons : « Dieu, qui nous avez commandé d’honorer notre père, ayez pitié dans votre clémence de l’âme de mon père. » Fidèle à la phrase littéraire, la phrase musicale premièrement l’agrandit, en fait une noble période, arrêtant sur chaque mot l’attention, l’émotion même. Pur est le dessin de la mélodie, ample en est la portée ou le développement. Deux fois d’abord, avec une gravité douce, mais avec une autorité croissante, elle énonce le commandement de respect. Le passage qui suit est le seul où le souffle faiblisse. La forme, ou plutôt la formule, de ces huit mesures ne consiste que dans la répétition, dans le report à des étages différens de la figure mélodique. Vous avez reconnu le procédé que le langage ou le jargon des musiciens désigne sous le nom de « rosalie. » Mais de cette défaillance passagère le style aussitôt se relève. Sur le mot clementer'', trois fois répété, la plus heureuse variante de rythme, — et la moins attendue, — anime, avive la voix d’un élan passionné et la porte jusqu’aux cimes, pour l’y retenir un moment vibrante, et l’en ramener comme avec respect, avec amour, de note en note et par degrés noblement descendus.

Toute l’ordonnance de cette page, de cet air, est harmonieuse et