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la verve et l’esprit, par l’éclat et la splendeur aussi, l’harmonie se rétablit entre Venise et Marcello le Vénitien. Spirituel, il le fut comme pas un de ses concitoyens, contre plus d’un même, et non des moindres, témoin certain pamphlet de sa façon, regrettable d’ailleurs, à l’adresse d’un recueil de Madrigaux de Lotti. En d’autres circonstances et sur d’autres sujets, avec plus de raison et démesure, il ne montra pas moins de malice. A Venise, dit très bien Goldoni, « le caprice est le fond du caractère et la facétie le fond de la langue. » Du temps de Marcello, c’était l’habitude, la tradition des grands seigneurs, de se divertir aux dépens de leurs gens, de faire à leurs gondoliers, à leurs perruquiers, à leurs valets, mille tours. Les historiens de Marcello nous en ont rapporté de bouffons[1]. Mais dans la plaisanterie lyrique surtout le musicien-poète excella. Certain passage de sa cantate Callisto changée en ourse est une imitation burlesque de la métamorphose même. En d’autres œuvres, on signalerait d’autres effets, bizarres à dessein, de rythme ou d’harmonie. Faut-il rappeler encore les deux madrigaux, si connus, que Marcello composa, paroles et musique, pour les chanteurs de Saint-Marc et fit exécuter par deux quatuors, l’un de ténors et de basses, l’autre de soprani et contralti ? ceux-ci, — comment dirai-je ?— artificiels ou fabriqués selon l’usage et la manière du temps. A défaut de l’air, voici la chanson :


I


(Pour deux ténors et deux basses)

Non, là-haut, dans le chœur des bienheureux
N’entrent pas les castrats
Parce qu’il est écrit en ce lieu...

(Les soprani interrompent)

Dites ce qui est écrit.

(Les ténors et les basses répondent)

Que l’arbre qui ne donne pas de fruits brûle dans le feu

(Les soprani, hurlant)

Ahi ! Ahi !

  1. Voir Zaccaria Morosini, Benedetto Marcello e la sua età Venezia, 1881 (cité par M. Fondi).