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Il ne faut s’ébahir, disaient ces bons vieillards,
Dessus le mur troyen, voyant passer Hélène,
Si pour telle beauté nous souffrons tant de peine :
Notre mal ne vaut pas un seul de ses regards…


Quel élargissement de notre scène et quelle profondeur dans les perspectives ! M. Chamard, en étudiant Du Bellay, nous avoue que le souvenir d’Ulysse et de Jason lui gâtent un peu le sonnet : Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage… Il y regrette ces marques d’humanisme. L’avouerai-je à mon tour ? Il me semble que les vers de Du Bellay en reçoivent un plus tendre éclat et sa tristesse un ennoblissement. Derrière ce pauvre Angevin qui soupire après la fumée de sa petite maison, il me plaît d’entrevoir, dans le recul des âges, telles que les poètes les ont peintes et telles que les ont vues toutes les générations, ces grandes figures nostalgiques penchées, à l’avant de leur nef, sur les flots éternels. Rien dans Ronsard n’échappe à ces prestiges si poétiques et d’une essence si humaine. Se hâte-t-il au rendez-vous nocturne de sa maîtresse ? Sa route est éclairée par tous les rêves des hommes qui ont divinisé l’amour et qui ont nommé ces astres dont la plupart


N’a place dans le ciel que pour avoir aimé.


Sa maîtresse l’a-t-elle trompé ? Il songe que les Catulle et les Properce, qui ne lui furent pas inférieurs, subirent la même contrariété du sort. Maigre consolation, penserez-vous ! Du moins le rappel de ces ombres infortunées l’empêche de nous entretenir de son infortune comme d’un accident unique dans l’ordre du monde. Son humanisme s’abaisse aux détails les plus familiers de la vie et les « emperle » d’un mot qui les illumine. Le poète va cueillir lui-même une de ces salades qui lui sont herbes plus friandes que les viandes royales ; puis il regagne son logis en lisant l’ingénieux Ovide :


Là retroussant jusqu’au coude nos bras,
Nous laverons nos herbes à main pleine
Au cours sacré d’une belle fontaine.


Ce n’est pas une simple imitation de l’antique. Ronsard ne prend aux Anciens que le mot de sacré qui relève sa sensation personnelle et qui la revêt d’une beauté mythique.

Enfin, l’humanisme est pour Ronsard une conquête, un acte