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de patriotisme. Racine et Boileau suivront son exemple quand ils franciseront la tragédie grecque et la satire latine. Remercions-le d’avoir naturalisé Horace et Anacréon, mais plus encore d’avoir essayé de doter notre pays d’une poésie pindarique. A-t-il complètement échoué dans cet effort que Banville qualifie de titanesque et d’insensé ? Se contentera-t-on de répéter avec Sainte-Beuve que « l’audace était belle ? » Après Gandar, M. Laumonier a révisé le procès. Il l’a fait avec une impartialité d’autant plus méritoire que sa thèse l’eût incliné à se montrer plus sévère. Ses conclusions sont assez favorables. Elles pourraient l’être davantage, étant donné surtout qu’il a reconnu que le poète français « s’était assimilé les beautés les plus saisissantes du poète thébain. » Évidemment Ronsard a dépassé la mesure. Ses maladresses sautent aux yeux. Il a cru naïvement « au délire pindarique, effet de l’inspiration, au désordre pindarique, effet de l’art. » Il est responsable de la conception erronée de Boileau et même de son Ode sur la Prise de Namur. La servilité ou, pour mieux dire, la puérilité de son imitation s’accuse dans l’espèce de décalque qu’il a tenté des combinaisons rythmiques d’un poète dont les Latins eux-mêmes ne sentaient plus les rythmes ! Nul ne contestera qu’il a abusé des allusions mythologiques ; et nous tomberons d’accord « qu’il aurait dû ne conserver que les images empruntées aux habitudes permanentes, aux visions éternelles de l’humanité, et y joindre celles que lui suggéraient les mœurs modernes. »

Mais ce Pindare qu’on lui oppose, quelle image nous formons-nous de lui ? Ses Odes triomphales m’ont laissé l’impression d’un soleil radieux, du soleil d’Olympie, de Delphes ou de Némée. Debout, un poète d’une inspiration très surveillée, un poète extrêmement érudit, que tous ne pouvaient comprendre, — car ils n’étaient pas tous des aigles, en Grèce ! — célèbre, aux sons de la musique, des héros obscurs dont il a, suivant son expression, embarqué l’éloge personnel sur le navire qui porte la gloire de leur race ou de leur patrie. Sa poésie ne me touche pas plus le cœur que ses héros ne devaient l’émouvoir. Mais j’y entrevois, dans une succession d’éclairs, les jeux du stade enveloppés d’une poussière vermeille, des combats retentissans, des reflets d’or, des fracas d’airain, des frissons de pourpre et de safran, de splendides appareillages et les mille fureurs et les mille sourires d’une nature où marchent les dieux