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et les déesses. Ses récits épiques, qui ne font qu’éployer leurs ailes, me rappellent parfois le mouvement de la Victoire de Samothrace dont le geste embrasse un vol immense. Eclatante et dure poésie, travaillée, comme la fameuse statue de Pallas Athêna, dans les riches métaux et les pierres précieuses ! Le temps y a mis des taches d’ombre, mais n’en a point obscurci les sentences morales, les réflexions sur la brièveté et la tristesse de la vie, où sans doute le poète prenait sa revanche des médiocres triomphateurs que sa profession de panégyriste exigeait qu’il chantât. Il a sauvé par son génie ce qu’un pareil lyrisme avait forcément d’artificiel.

Et maintenant, lisez les grandes odes de Ronsard. Seulement, puisqu’on ne peut plus les entendre chanter, lisez-les à haute voix. Il n’est pas toujours resté si loin de son modèle ! Il avait naturellement de Pindare l’esprit sentencieux et volontiers didactique, — héritage de nos anciens poètes, si l’on veut, — l’imagination somptueuse, l’amour de tout ce qui resplendit, le don des évocations rapides, le sens du symbole et le souffle épique. Aussi a-t-il imité, sans trop d’effort, ses vers brillans et mystérieux qui renferment comme le secret de la création, et par exemple cette strophe admirable sur les profondeurs de l’Océan :


Là sont divinement encloses,
Au fond de cent mille vaisseaux,
Les semences de toutes choses,
Filles éternelles des eaux !…


Il lui a facilement emprunté l’idée que les poètes sont les élus des dieux et les dispensateurs de l’immortalité. Il dira superbement à Guy de Chabot, seigneur de Jarnac :


Ta vertu serait trompée,
Et non plus que ton épée
Mit à vaincre l’ennemi,
Non plus vive serait elle
Si je n’avais coupé l’aile
Du long Silence endormi !


Aux poètes, aux poètes seuls la Nature se révèle. C’est sous l’aiguillon des Muses qu’ils pénètrent dans ses ténébreuses arcanes.


Eux, piqués de la douce rage
Dont ces Filles les tourmentaient,