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D’un démoniaque courage
Les secrets des Dieux racontaient,
Si que, paissant par les campagnes
Les troupeaux dans les champs herbeux,
Les Démons et les Sœurs compagnes
La nuit s’apparaissaient à eux,
Et tous sur les eaux solitaires
Carolant en rond par les prés
Les promouvaient prêtres sacrés
De leurs saints orgieux mystères.


Vous reconnaissez là le thème qu’avec une nouvelle splendeur Hugo reprendra plus tard dans sa pièce des Mages, mais en y introduisant un esprit tout différent, et l’arrière-pensée que nous n’avons besoin d’autre pape que de Lui.

Enfin Ronsard est arrivé quelquefois à nous rendre le mouvement des odes de Pindare. La couronne qu’il façonna « d’une laborieuse main » pour le front de Michel de l’Hôpital a bien été « trois fois torse du pli thébain. » En dehors des Harmonies de Lamartine et des Contemplations de Hugo, nous n’avons rien de comparable à cette ode de huit cents vers dont les strophes, si diversement colorées, déferlent l’une après l’autre avec une magistrale ampleur. Il m’importe peu que ces strophes ne soient pas organiquement des strophes, selon la poétique de Banville, mais des juxtapositions de petites strophes : elles ont l’âme et l’élan qui suppléent à l’organisme technique. La naissance des Muses, leur désir de connaître leur père, leur voyage à travers l’Océan, leur arrivée devant Jupiter, tous ces tableaux, splendides ou charmans, forment une poésie merveilleusement décorative.

Mais, a-t-on dit, « transporter dans une ode française, à l’exemple de Pindare, de longs récits mythiques empruntés aux traditions de la Grèce antique, c’est moins imiter Pindare que le trahir : c’est lui dérober ses couleurs pour en composer une œuvre terne et fastidieuse[1]. » Terne me semble étrangement sévère ! Fastidieuse ? Aujourd’hui, peut-être. Ronsard eût mieux fait de s’inspirer des traditions religieuses ou légendaires de notre pays. Mais n’oublions pas à quel public il s’adressait. Le livre si curieux de M. Bourciez, Les Mœurs polies et la Littérature de Cour sous Henri II, nous prouve que le retour aux symboles

  1. Alfred Croiset, La Poésie de Pindare.