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païens, déterminé par la passion de l’Antiquité, n’avait rien de conventionnel pour les contemporains de Ronsard. Toutes ces nouveautés vivaient réellement et créaient une atmosphère mythologique. « Etrange et unique moment, écrit-il, que celui où les dieux antiques revinrent de l’exil, proscrits depuis douze cents ans. Ils furent jeunes encore, brillans de force et de beauté. Il y eut dans l’apothéose de Henri II plus qu’un caprice ou une fantaisie passagère. L’Olympe tout doucement descendit sur les bords de la Seine. Bientôt le Conseil des Immortels fut au complet et s’installa au Louvre dans les grandes salles fleurdelisées. »

Non seulement les divertissemens de la Cour ressuscitaient les demi-dieux et les Nymphes ; et Diane, le croissant au front, l’arc turquois à la main, y paraissait accompagnée des Vierges forestières ; non seulement le Primatice et Nicolo dell’ Abbate peignaient dans la salle des Cent Suisses le Festin de Bacchus et la scène des dieux sur le mont Ida ; mais la renaissance de l’Antiquité devenait populaire. Pour recevoir Henri II, en 1548, la ville de Lyon élevait des arcs de triomphe ornés de cariatides et couchait, devant une grande porte d’honneur, les figures du Rhône et de la Saône, couronnées de roseaux comme les dieux des fleuves et accoudées sur des urnes intarissables. Près du char de la Religion traîné par des licornes, Neptune se dressait armé de son trident, et Amphitrite souriait sur les épaules des Tritons. Voilà les scènes qu’il faut avoir sous les yeux quand on ouvre les odes mythologiques de Ronsard. Ces divinités qui, dans cinquante ans, ne seront plus que des machines de théâtre et des conventions à l’usage des poètes, exhalent, à ce moment du siècle, la fraîcheur de la terre d’où l’on vient de les exhumer. On respire sur elles l’odeur des forêts, des moissons, des fleurs et des flots. Une sève ardente semble courir en leurs veines de marbre. Que le poète se lève donc, car la poésie a sa place marquée dans tout ce qui donne du prix à la vie collective, et qu’il raconte ces dieux dont les belles attitudes se détachent si noblement au milieu des fleurs de lys ! Leur splendeur ajoute au rayonnement de la couronne de France.


Et bref, c’est presque un Dieu que le Roi des Français !


Il viendra un moment où nous nous lasserons de l’humanisme