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et où nous nous ferons une Muse de cette « Ignorance » que maudissait Ronsard. Nous aspirerons à nous affranchir de la tyrannie des Anciens, à rejeter les formes qu’ils nous ont imposées, à nous retrouver en face de la vie avec une imagination neuve. Nous reviendrons à la nature. Du moins nous croirons y revenir. Et nous serons tentés alors de ne plus voir que de savans artifices et une exaltation livresque dans cette poésie qui fut pour l’âme française un accroissement d’humanité et, durant un demi-siècle, l’expression de notre esprit national.


III

Ronsard a si profondément compris son siècle ! Brunetière admirait dans les sonnets à Cassandre des transpositions en vers de la Danaé ou de l’Enlèvement d’Europe d’un Paul Véronèse. En effet, il a rivalisé de couleurs avec les peintres de la Renaissance. En passant de leurs toiles à ses vers, les hommes de XVIe siècle ne faisaient que passer du tableau à la légende. Je rêve une édition de ses plus beaux poèmes qu’on illustrerait des reproductions de leurs chefs-d’œuvre. D’ailleurs, il aimait autant la peinture que la musique, et son ode intitulée : Les Peintures contenues dans un tableau est comme un premier essai de cette poésie « picturale » où excellera plus tard Théophile Gautier. La Léda du Gorrège qui, sous le baiser du Cygne, les lèvres décloses, retient amoureusement son souffle et laisse filtrer son regard entre ses cils baissés, n’est pas plus voluptueuse que celle dont Ronsard a chanté la Défloration. Mais, simple fille de volupté, elle n’a pas l’air princier de la Léda française qui reproche à Jupiter son audace


D’aller ainsi violant
Les filles de noble race.


La mythologie de Ronsard ne ressemble guère plus à la mythologie des Anciens que le Plutarque d’Amyot au Plutarque des Grecs. Pendant que je parcourais la Franciade, je m’imaginais suivre, sur les murs intérieurs d’un de nos vieux châteaux comme celui de la Poissonnière, le déroulement d’une ancienne tapisserie où l’artiste, en contrefaisant Homère et Virgile, avait peint les hommes de son temps. L’allure gaillarde