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et chevaleresque, qu’il prête aux héros et aux dieux, répond tout à fait au goût de l’époque.

Sous la double influence de l’Italie et de l’Espagne, du Roland Furieux et des Amadis, la chevalerie semblait sortir de sa tombe, mais en y laissant tout ce que le Christianisme lui avait donné de vie intime et profonde. Le Moyen Age, avant de mourir, assistait à la métamorphose de ses fées en nymphes et de ses sombres sorcières en héroïnes lumineuses et passionnées. Il voyait repasser devant ses yeux d’agonisant, belles d’une beauté tout extérieure, les vieilles formes galvanisées de l’esprit féodal. On remet en honneur le duel judiciaire. Les tournois refleurissent. Les cartels qu’on affiche dans la cour du château de Blois, « au pied du grand escalier où se tordent les salamandres[1], « imitent les défis romanesques que se portaient les chevaliers errans. Sous des noms de guerre tirés de l’Arioste, Mandricardo, Sacripante, Orlando, Astolfo, réapparaissent les émules de ces superbes Rolands

Pleins d’une âme amoureuse, Qui désireux de gloire aventureuse, Comme des Dieux s’acquirent des autels, Faisant partout des gestes immortels.

Ce mélange de mythologie et de chevalerie jette un éclat exceptionnel sur la cour des Valois. M. Laumonier a eu raison de protester contre la désinvolture avec laquelle Sainte-Beuve traitait les Cartels et les Mascarades de Ronsard de « divertissemens ennuyeux et sans intérêt. » Ils sont charmans au contraire ; car le poète, d’humeur chevaleresque et d’imagination païenne, a fixé dans ses vers cet instant de la civilisation française qui parut si beau que Mme de La Fayette en rappelait le souvenir en écrivant sa Princesse de Clèves. Reportez-vous au passage du Tournoi dont on n’a pas assez admiré la couleur discrète et la vérité historique : « On fit publier par tout le royaume qu’en la ville de Paris, le pas était ouvert au quinzième jour par Sa Majesté très chrétienne et par les princes Alphonse d’Est, duc de Ferrare, François de Lorraine, duc de Guise, et Jacques de Savoie, duc de Nemours, pour être tenu contre tous venans : à commencer le premier combat à cheval en lice, en double pièce, quatre coups de lance et un pour les

  1. Bourriez, ouvrage cité.