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nous causent jamais le moindre malaise. Sa poésie, dont la grâce a l’insolence de la jeunesse ou la fierté du génie, est toujours franche, loyale, et ne remue aucun sentiment trouble dans les cœurs.

On ne saurait pourtant se dissimuler ce qu’elle a d’incomplet, ou, pour mieux dire, ce qu’elle nous découvre, sous sa magnificence, de ce « perdurable » esprit gaulois si porté au mépris ou au dédain des femmes. Certes, Ronsard ne semble pas les mépriser ! Mais son analyse de leurs charmes physiques dissout leur personnalité. Il refait avec un art incomparable les « blasons » dont la poésie italienne et française lui offrait des exemples quelquefois bien grossiers. Je ne vois en Cassandre et en Marie, ainsi blasonnées, que les objets de sa contemplation et de son désir. Leur amour est pareil à un collier dénoué dont le poète tourne et retourne chaque perle entre ses doigts. S’il adore en elles la tendre incarnation des formes parfaites que les Grecs ont déifiées, ce sentiment esthétique tout nouveau s’accommode assez bien d’une conception de l’amour où la femme, tantôt divinisée par le paganisme des sens, tantôt rabaissée au simple rôle d’un instrument de plaisir, n’est jamais considérée comme l’égale de l’homme, ni seulement chérie dans son humanité.

Ronsard n’accorde qu’un crédit très limité à l’intelligence féminine. S’il veut que sa maîtresse soit experte en musique et en vers, cela ne signifie pas grand’chose : les Anciens en demandaient autant à leurs courtisanes ! Du reste, l’ignorance de sa Marion ne semble pas l’avoir diminuée à ses yeux. Pour lui, la femme est « fragile, » c’est-à-dire qu’elle a l’entendement fragile. En dehors de l’amour, les problèmes philosophiques ou les questions religieuses ne doivent pas la distraire du soin « de ménager et garder la maison. » Et même en amour elle ne donne pas toujours les preuves d’une judiciaire très sûre.


Si quelque fille est, douce, honnête, bonne et belle,
J’ai beau être courtois, jeune, accort et fidèle,
Elle sera toujours d’un sot énamourée !


Cette fille rentre sans doute dans la catégorie des sottes qui « aiment mieux un mari qu’être faites déesses. » Ronsard comprend mal un goût si vulgaire, mais il se console aisément de leurs rigueurs.