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Quand une jeune fille est au commencement
Cruelle, dure, fière, à son premier amant,
Hé bien, il faut attendre !...
Mais quand elle devient, sans se changer un jour,
Plus dure et plus rebelle et plus rude en amour,
Il s’en faut éloigner, sans se rompre la tête
Et vouloir adoucir une si sotte bête...


Qui parle ? Est-ce Villon, Marot, Mellin de Saint-Gelais ? Cette philosophie de Ronsard sera aussi celle de l’Hylas de l’Astrée, et celle du vieux Malherbe. Et pensez-vous que de semblables vers détonneraient dans une pièce de Molière ?

De toutes les femmes que Ronsard a chantées, une seule m’apparaît avec son âme : Hélène de Surgères. Nous la reverrons toujours au chevet du lit où l’on vient de saigner son poète ; elle regarde le sang et dit en riant : « Que votre sang est noir ! » Elle est coquette et danse pour lui de beaux ballets d’amour qui se rompent et se reforment comme le cours du fleuve de Méandre. Elle est hautaine et ne daigne pas lui faire l’aumône d’un peu de jalousie. Cependant, un soir, près d’une fenêtre d’où ses yeux découvrent les hauteurs de Montmartre, elle soupire à haute voix après la vie solitaire et même après la paix du cloître. Mais a-t-elle réellement prononcé les mots que lui prête Ronsard ? A-t-elle dit :


Je voudrais bien y être
A l’heure où mon esprit de mes sens sera maître ?...


N’a-t-il pas introduit dans le souhait mélancolique de cette belle fille d’honneur, dont l’âme se retire des splendeurs de la Cour, cet aveu peu vraisemblable, peu délicat, d’une faiblesse intime qui lui permettait d’espérer qu’avant le renoncement final elle cueillerait avec lui les roses de la vie ? Il a vieilli, mais pareil au bois sec qui brûle en toute saison. Ni les tristesses de l’âge, ni les larmes qu’il verse n’obscurcissent son idée épicurienne de l’amour.

Cet épicurisme très italien et très gaulois devient plus gaulois lorsqu’il y joint le goût rabelaisien des franches lippées, et « qu’il s’attable, les coudes sur la nappe grasse, pour voir à la lueur des torches baller les belles filles[1]. » Il devient plus gaulois encore lorsque, à ses yeux d’amoureux et de buveur,

  1. Bourciez, ouvrage cité.