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soit assez fort pour empêcher le retour à l’anarchie. » Rien n’est plus juste, à mon avis. M. Messimy estime que la seule manière de faire « pour conduire à des résultats positifs est la création d’un ministère de la Défense nationale. » La discussion de cette proposition sortirait du cadre de cette étude.

En résumé, si j’ai adressé quelques critiques aux deux décrets qui viennent de paraître sur le haut commandement en France, je reconnais qu’ils constituent un très grand progrès sur le passé. Il nous reste à examiner la question des personnalités.

C’est dans le choix des personnalités que la passion politique exerce la plus fâcheuse influence, on ne saurait le méconnaître. Les institutions ne valent que par les hommes qui les mettent en œuvre ; c’est dans le choix de ces hommes que le Gouvernement ne saurait apporter trop de soin. Certes, il a le droit et le devoir d’exiger de tous les officiers le loyalisme le plus absolu, mais il se tromperait étrangement en le cherchant parmi ceux qui font avec ostentation étalage de leur dévouement au Gouvernement établi et aux institutions existantes. Dans ma longue carrière, j’ai connu, sous l’Empire, des officiers plus impérialistes que l’Empereur, et d’autres, plus tard, affirmant avec beaucoup de bruit leur républicanisme à toute épreuve. J’ai reconnu que presque tous n’étaient que des arrivistes ; les uns, sans valeur militaire et sentant leur incapacité, ne voient d’autre moyen d’avancement que les témoignages d’une ardeur politique aussi chaude que feinte ; d’autres, de valeur réelle, sont possédés d’une ambition exagérée qui ne peut être satisfaite que par les mêmes procédés. Les uns et les autres sont les ennemis les plus dangereux d’une démocratie ; la plupart n’hésiteraient pas à changer d’opinion suivant les circonstances ; ils sont prêts aux coups d’Etat. Certains des plus chauds partisans du boulangisme ne sont-ils pas devenus les républicains les plus intransigeans ? En 1792, Dumouriez se coiffait du bonnet phrygien au club des Jacobins ; l’année suivante, il trahissait la République et la Patrie. Cet exemple devrait donner à réfléchir à nos gouvernemens ; ils devraient comprendre que les officiers les plus loyaux sont ceux qui, craignant l’intrusion de la politique dans l’armée, n’étalent pas leurs sentimens et se taisent. Ces officiers, d’un loyalisme sûr, sont de beaucoup les plus nombreux ; mais