Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 5.djvu/801

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tout à coup, derrière tes buissons de roses et les douces vignes odorantes, surgit et passe la Danse Macabre ; car c’est bien sous cette forme si familière au Moyen Age, que la mort a tour à tour opprimé et surexcité son imagination. Il a vu le laboureur, son soc à la main, suivre les armes impériales et les grands foudres de guerre vainement armés de leurs lances et de leurs estocs. Il s’est vu lui-même dans l’affreux cortège :


Il n’a plus esprit ni raison,
Emboîture ni liaison,
Artère, pouls ni veine tendre.
Cheveu en tête ne lui tient
Et, qui plus est, ne lui souvient
D’avoir jadis aimé Cassandre !


C’est dans ce lieu commun qu’il rajeunissait après Horace et après tant d’autres poètes, qu’on sent le mieux l’amalgame des images antiques et de celles du Moyen Age. Les morts que l’Infernal Passager attend aux bords du fleuve épais et lourd ressemblent aux hideux squelettes de Villon. Quelle horreur que de ne plus exister ! La vieillesse n’est rien encore. On peut, assis au coin du feu « comme une idole enfumée, » assister sans trop d’amertume au renouvellement insolent de la nature et se dire qu’on préfère à l’immortelle insensibilité des rochers et des bois le souvenir des cruelles douceurs qui nous ont fait vieillir, ô Cassandre ! Mais penser qu’une heure viendra où nous perdrons jusqu’à la mémoire de notre amour ! Penser qu’un instant suffira pour nous rejeter hors du temps et qu’à peine morts nous serons aussi morts que celui qui mourut au jour du déluge ! Ronsard, qui a puissamment aimé la vie, essaie d’écarter la vision de son cadavre. Du paganisme il revient à la religion chrétienne. Dans son Hymne De la Mort, il se gourmande de craindre l’épouvantable Charon.


Ha pour Dieu te souvienne
Que ton âme n’est pas païenne, mais chrétienne !


Le Christ fait de la mort « un beau passage, » et notre âme est « citoyenne à jamais de la ville éthérée. »


Je te salue, heureuse et profitable Mort !


Beaux vers que ne font point pâlir les vers sublimes de Lamartine : Je te salue, ô mort, libérateur céleste !... Mais l’ont-ils délivré de sa hantise ? N’a-t-il pas, et souvent encore, répété