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Mais ne nous fions point aux apparences. N’allons pas, comme Michelet, faire de lui « un maniaque enragé de travail, un homme cloué là et se rongeant les ongles, le nez sur ses livres latins, arrachant des griffes et des dents des lambeaux de l’Antiquité. » Quelle absurdité ! Il bouillonne de jeunesse ; et sa bibliothèque, il la sait par cœur comme Virgile savait ses Grecs et ses Latins, Ennius et Homère. Montaigne disait : « Je suis de ceux qui tiennent que la poésie ne rit point ailleurs comme elle fait en un sujet folâtre et déréglé. » C’est l’idée même de Ronsard. Sauf pendant les jours tragiques où il ne pouvait plus « jouir de la franchise de son esprit » et où il a dû combattre pour son Roi et pour son Dieu, la poésie est à ses yeux non pas la vie elle-même, mais l’honneur et le rire de la vie ; non pas toute l’âme, mais ce qu’il y a dans l’âme d’éternellement jeune et dans la jeunesse d’éternellement beau ; non pas toute la sagesse, mais ce qu’on peut mettre de sagesse dans nos divertissemens et dans nos folies. Les vers où il répondait aux Prédicantereaux de Genève sont très significatifs :


Je suis fol, Prédicant, quand j’ai la plume en main,
Mais quand je n’écris plus, j’ai le cerveau bien sain.
Je prends tant seulement les Muses pour ébats,
En riant je compose, en riant je veux lire,
Et voilà tout le fruit que je reçois d’écrire.
Ceux qui font autrement, ils ne savent choisir
Les vers qui ne sont nés sinon pour le plaisir.


J’admets que, dans son désir de se justifier des accusations d’immoralité, il essaie de tourner en fantaisies sans conséquences ses inspirations les plus païennes. C’est pourtant bien de cette façon que, même en sa période de pindarisme, il a conçu et adoré la poésie. Et remarquez qu’au fond cette conception se rapproche beaucoup plus de celle des Malherbe, des Boileau, des La Fontaine, que de celle des Romantiques. La fonction du poète ne consiste qu’à embellir l’existence et à récréer l’esprit des hommes. Le poète ne lit pas dans les étoiles la route du vaisseau : il consacre seulement la gloire des bons pilotes et des bons capitaines, et ses inventions heureuses trompent les passagers sur les tristesses du voyage.

Ronsard fut un grand artisan de joie et de beauté. Pas d’œuvre où l’effort se sente moins, où le génie s’abandonne plus librement au démon qui le pousse. Sa veine a quelque chose de