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fonctions de prieur ; et ses fermiers des Roches s’acquittent non moins scrupuleusement de leurs redevances. Ils lui apportent à la fête des Rois « trois fouasses de fleurs de froment paitries au beurre et huit chappons bons, gras, vifs et recevables. » La maison prieurale était ornée d’une galerie rustique en saillie. « Du haut de ce balcon, la vue du prieur s’étendait sur un des plus beaux paysages de France, au moins un des plus doux et des plus reposans. Toute cette campagne des environs de Tours ressemble à un parc où la main de l’homme aurait au hasard jeté des prairies, de riches cultures, des groupes d’arbres pittoresques. C’est aussi le pays des roses... » Les parfums de sa terre natale montaient vers lui, les plus nobles de cette France que nul n’a chantée comme lui, à qui, dans un jour de tristesse, il reprochait d’être


Marâtre à ses enfans et mère aux étrangers,


mais que nul n’a mieux aimée que lui.

Ajoutons : que nul en son temps n’a fait admirer davantage. M. Laumonier a raison de souhaiter qu’on écrive un livre sur l’influence de Ronsard en Europe, et il aurait encore plus raison de l’écrire lui-même. Elle fut considérable ; et ce caractère expansif de son génie le rend encore plus français, s’il est vrai qu’aucun pays n’ait produit plus que le nôtre des hommes dont la voix porte loin.. Les Italiens nous disaient : « Vous avez chez vous plus grand que Pétrarque. » Ils ne croyaient pas si bien dire ! Les poètes allemands remplissaient leurs ouvrages des louanges de Ronsard. On étudiait ses œuvres avec passion précisément à l’Université de Heidelberg où Malherbe acheva ses études. Le chef de l’école silésienne, Martin Opitz, qui essayait d’acclimater en Allemagne les formes de la poésie antique, s’inspirait largement de son exemple. Quand il vint à Paris en 1630, il ne comprit rien au revirement de l’opinion française : « Ronsard, s’écrie-t-il, n’est plus appelé un poète ; Du Bellay est traité à l’égal d’un mendiant. »

Mais ce fut en Angleterre que Ronsard exerça un magnifique prestige. Et justement, hier encore, M. Sidney Lee, dans un livre que je voudrais voir traduit, The French Renaissance in England, reconnaissait la grandeur de la dette que la Poésie anglaise du temps d’Elisabeth avait contractée envers la Pléiade,