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et particulièrement envers Ronsard. Ce fut la France qui, par sa faculté d’assimiler et de rendre national ce qu’elle tire de l’étranger, transmit à l’Angleterre, avec ses propres inventions et ses propres idées, la connaissance de la Grèce, de Rome et de l’Italie moderne. Ce fut dans la poésie française, c’est-à-dire dans Ronsard, que les Anglais étudièrent, sinon tous la poésie des Grecs, des Latins, des Italiens, tous du moins la science d’en adapter les beautés à leur civilisation. « Notre inspiration étrangère, dit-il, est plus souvent d’origine française que d’origine classique et italienne. » Un seul ouvrage de Ronsard, les Discours sur les Misères de ce Temps, avait été traduit en 1568. Mais toute son œuvre était si connue que, cinq ans après sa mort, en 1590, un pamphlet satirique de Tarlton représentait les poètes, ses imitateurs, rassemblés au Purgatoire pour entendre « le vieux Ronsard » chanter sa Cassandre. On imite son patriotisme ; on essaie de pindariser comme lui. Les thèmes d’Anacréon et de Théocrite, Lily les reprendra, mais de la main de Ronsard. Le rire de Vénus devant son fils qu’une abeille a piqué n’est, dans Spenser, qu’un écho du poème de Ronsard. Shakspeare enfin, Shakspeare surtout, ne se contentera pas d’emprunter à Ronsard des mots qui prouvent combien il le pratiqua, comme celui d’antres, si fréquent dans la poésie ronsardienne, ou comme celui de scrimers qui n’est autre qu’escrimeurs inventé par Ronsard. Il ne se bornera pas à imiter après lui l’Adonis d’Ovide et à développer après lui des motifs d’Anacréon. Les personnages des Joyeuses Commères et des Peines d’amour verront avec les yeux du poète français les fleurs « qui peignent délicieusement la campagne » et décriront comme lui


... le bel émail qui varie
L’honneur gemmé d’une prairie...


L’aubade de Ronsard, Mignonne, levez-vous, vous êtes paresseuse, sonnera joyeusement sur le théâtre anglais : « Ecoute, écoute, l’alouette chante à la porte du ciel... Avec tout ce qui est charmant, ma douce maîtresse, lève-toi ! lève-toi ! lève-toi ! » Lorsque Roméo veut jurer « par la lune charmante qui pose une pointe d’argent sur la cime des arbres, » Juliette l’interrompt : « Oh ! s’écrie-t-elle, ne jure pas par la lune, par la lune inconstante... ou, si tu veux jurer, jure par ta gracieuse personne,