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Angleterre et en Allemagne prouvent avec autant de précision et de clarté que les cours de denrées alimentaires n’atteignaient pas encore en 1908 le niveau moyen constaté de 1880 à 1885, avant la baisse extraordinaire qui a provoqué la crise agricole tant de fois signalée et si souvent déplorée.

Les cours actuels étaient donc considérés, il y a peu d’années, comme réguliers, traditionnels et ordinaires. Personne, cependant, ne songeait à protester contre la vie chère, contre les « prix de famine, » et les prétendus scandales de l’accaparement ou de la spéculation !

Que s’est-il donc passé depuis trente ans, et pourquoi le public étonné ou irrité se croit-il victime d’une crise spéciale, d’un renchérissement extraordinaire que rien ne saurait expliquer ou justifier ? En vérité, le public a tout simplement oublié le passé. Il a profité de la baisse considérable et rapide du cours des produits agricoles, et il lui paraît étrange ou scandaleux, à cette heure, que les prix remontent à leur ancien niveau. C’est là tout à la fois un acte d’ingratitude et un aveu d’ignorance : un acte d’ingratitude, puisque la baisse extraordinaire des cours a favorisé les intérêts de l’acheteur et notamment ceux du salarié, en réduisant les profits de l’agriculteur aussi bien que les revenus du propriétaire rural ; un aveu d’ignorance, car l’étude des variations de prix démontre sans contestation possible que la « cherté » de 1911 eût été considérée, il y a trente ans, comme une baisse appréciable des cours ordinaires, et un signe précurseur de la vie à bon marché !

« Mais, nous dira-t-on, ces cours très élevés, pratiqués il y a trente ans, étaient sans doute anormaux et extraordinaires. La baisse dont vous parlez vous-même démontre précisément que le prix des produits agricoles a fléchi dès qu’il atteignit ce niveau. Vous constatez simplement l’existence d’une crise dont le public a souffert il y a trente ans et dont il souffre de nouveau aujourd’hui ! »

Cette argumentation ingénieuse n’a aucune valeur parce qu’elle repose sur une hypothèse qui est fausse. L’élévation du niveau des cours entre 1870 et 1880 n’a pas été le résultat et le signe d’une crise passagère ; elle a été au contraire la conséquence d’une hausse générale, persistante, considérable autant que rapide, hausse qui caractérise toute une période