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SUR LE NIL


Samedi, 12 mai.

Il est près de cinq heures du matin. À cette heure-là, au mois de mai, Le Caire est encore endormi.

Par la rue Kasr-en-Nil, avec un ânier et son âne qui transporte mes bagages et mes provisions, je descends vers le pont de Boulak et le quai de la rive gauche, où l’on s’embarque pour Assouan. La rue est à peu près déserte. Cette grande artère européenne de la ville neuve a fermé ses magasins et ses hôtels pour touristes. L’escalier monumental du Savoy semble conduire à une nécropole. Çà et là, les portiers berbérins, enveloppés dans un carré de laine blanche, sont couchés en travers des seuils. Quelques-uns, qui viennent de s’éveiller, se soulèvent, se prosternent pour la prière. Dans les jardins des hôtels, sur les branches des cèdres et des acacias, les corneilles-à-manteau s’ébrouent, en poussant d’étranges cris sauvages. Elles s’envolent tout à coup, se posent au milieu de la chaussée, et leurs ailes, rabattues comme des chappes, sont glacées de reflets d’aurore.

C’est un moment de fraîcheur exquise. Mais on sent que cette fraîcheur sera brève. Là-bas, du côté du fleuve, de fines poussières vibrent en une buée d’or, et, du côté de l’Est, les contours du Mokattam, avec la coupole de sa mosquée et les aiguilles de ses deux minarets, se découpent en traits durs sur le ciel uniformément bleu et sans profondeur, — le ciel mat et comme solidifié des jours de grande chaleur, où le paysage figé, souligné de noir, a l’air d’être peint sur de la porcelaine.